La loi promulguée le 23 mars décrétant l’urgence sanitaire pour une durée de deux mois, fait suite à l’annonce d’obligation de confinement du 17 mars. Du 23 mars au 24 mai « des mesures exceptionnelles dont le but est de renforcer la sécurité sanitaire et de lutter contre la propagation de l’épidémie de coronavirus sur le territoire français » peut être renouvelée. La limitation des libertés individuelles, le confinement, est instaurée à l’aide de règles formelles. Une attestation sur l’honneur de déplacement entre le domicile et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, pour effectuer des achats de premières nécessités, pour motif de santé, pour l’aide à une personne vulnérable, déplacements brefs liés à l’activité physique individuelle, constitue un sauf conduit passible d’être contrôlé par les forces de l’ordre qui vérifie l’heure de départ du domicile.
Il y a donc obligation de rester chez soi, pour ceux dont l’activité n’est pas indispensable à la vie de la cité, mais avec possibilité de sortie pour des raisons précises. La difficulté consiste à accepter ce paradoxe. L’interdiction n’est pas totale comme dans le cas d’un enfermement en prison où la porte est gardée par une sentence judiciaire. La privation de liberté est claire d’autant plus que la date de la peine est énoncée. Il y a là une réalité qui peut être intégrée sans aucun doute sur le plan de la conscience. La mémoire parvient à classer cette donnée dans un processus d’accommodation. Tandis que dans le confinement, obligation est de rester chez soi, tout en sortant. Interdiction et autorisation vont s’entremêler et donner lieu à une incompréhension dans l’acceptation. Si on peut s’aventurer au dehors, c’est que le risque n’est pas aussi grand que l’on veut bien faire croire. Dès lors, ce type de raisonnement autorise quelques-uns à transgresser la loi et ce non-respect des consignes va augmenter et durcir les contrôles jusqu’à l’établissement de couvre-feu.
Chacun réagit à ce confinement de manière différente selon son mode de vie, son rapport à la loi. Mais la configuration de l’habitat demeure un critère prédominant : appartement ou maison individuelle, superficie, manière de vivre le logement, relation de voisinage, sont des facteurs susceptibles d’influencer les comportements.
La famille, couple avec enfant, se trouve confrontée à une situation inhabituelle. Comment dire aux enfants qu’il n’y a plus d’école et que désormais l’apprentissage se fera à la maison ? D’abord comment leur expliquer qu’ils ne pourront plus sortir de la maison ? A partir de quatre ans, ils peuvent déjà comprendre qu’une mauvaise grippe fait beaucoup tousser et que pour ne pas l’attraper l’école a donné vacances à tous les enfants et que maman et papa ne vont pas non plus au travail pour la même raison. Ils ne peuvent pas sortir pour le moment afin d’être protégé. A sept ans ils savent que le danger est au dehors.
Les devoirs quotidiens dans le lieu de détente et de liberté qu’est la maison, impliquent des règles de base à instituer depuis le début. La création d’un espace qui soit non passant afin de délimiter le champ de l’apprentissage et celui du jeu, quand cela est possible, permet des repères indispensables à la concentration. La difficulté naît du rôle d’enseignant que doivent endosser les parents non formés à la pédagogie et dont la patience est amoindrie parce que la figure d’autorité qu’est le professeur se trouve éloignée de la relation parent/enfant.
Hormis la pédagogie qui s’improvise peu, la proximité du frigo attire un gosier sec à abreuver en permanence, à laquelle s’ajoutent les pauses soulagement de vessie, modifie l’humeur de tous.
Une organisation ferme doit simplifier l’acquisition des connaissances. La journée gagnerait à être rythmée en séquences strictes : devoirs avec une heure de début, moment de pause chronométrée, reprise et heure d’arrêt. Se tenir à cette discipline en l’ayant d’abord négocier, devrait permettre de mieux accompagner. Tenir compte du changement soudain dû à l’énergie contenue, pas de lieu où sauter et s’ébattre, absence de confrontation aux corps des autres du même âge, échanges limités, demande beaucoup de créativité doublée de rigueur. Eteindre les téléphones, signe la volonté d’un cadrage précis pas seulement pour les enfants.
Mettre l’accent sur ce qui est bon, en espérant une amélioration de ce qui l’est moins, récompenser l’effort fourni est une gratification qui porte ses fruits. Puis tabler sur le relais en demandant à l’autre parent d‘intervenir c’est peut-être l’occasion de modifier une habitude de prise en charge unique de l’enfant. A cet âge il n’est pas facile de renoncer à l’expression corporelle et à la décharge énergétique. Avoir la bougeotte, dans une décision commune, peut trouver un exutoire adapté au mode de vie. La mère célibataire doit gérer seule une situation qui n’est pas aisée, mais elle connaît ses enfants et il sera nécessaire de leur demander leur aide pour réussir cet imprévu.
Les adolescents qui s’isolent volontiers dans leurs chambres avec leurs matériels informatiques et leur musique, n’échappent pas à l’interrogation concernant le baccalauréat. L’incertitude oriente leurs comportements ou vers une indifférente paresse ou vers une inquiétude improductive. Seule l’intervention d’un parent assis à leur table de travail les aidera à avancer dans le programme de l’année : quatre mois avant échéance et parfois l’impression de ne rien avoir retenu des cours d’octobre à mi-mars. Le coronavirus, malgré l’information donnée par les scientifiques d’une absence de risque pour les jeunes poumons, ne les rassure pas tout à fait.
Pourtant quand bien même l’extérieur est ressenti comme dangereux, quelques-uns bravent l’interdit et sortent de la maison au grand dam d’adultes conscients du risque d’exposition à la maladie et de sa transmission. La mère célibataire au fils rebelle peut avoir du mal à contenir cette frénésie de liberté. Elle assume seule l’angoisse d’un malheur à deux qui la ronge. Le temps du dire, cette mère s’est plainte de l’influence de deux jeunes filles qui viennent jusque devant chez elle chercher son fils qui s’en va en leur compagnie. La mise en accusation ne concernait que l’attitude des filles incapables de rester confiner, et dont son garçon victime consentante était sous emprise. A remarquer le déplacement du désarroi semblable au mécanisme de l’acte sorcellaire annihilant toute volonté et faisant du sujet un être dénué de responsabilité : ce n’est pas sa faute. L’impertinence de cette période pubertaire risque de franchir une limite dans cette présence continuelle des corps et des caractères.
Les couples sans enfant, dans un côtoiement quotidien, en fonction de l’âge et du degré d’entente, vont vivre une expérience sans précédent. Sans possibilité de mettre de la distance dans un espace restreint, la permanence du corps de celui qui n’a pas l’habitude des tâches ménagères, gêne comme dans le cas du moment venu de la retraite, avant de trouver l’exutoire de sorties à heure fixe. L’homme peut avoir du mal à se situer dans cette maison où le reproche de marcher dans le mouillé du lavage du sol augmente son malaise. Une épouse compatissante adoucit la remarque en disant qu’il pourrait glisser et se faire mal. Il gêne dans la cuisine combien même une volonté d’aide l’anime dans l’observation d’une tarte salée où sa participation ne sera pas requise. A deux, se faisant face, les griefs anciens s’étalent sur les murs, d’allusions en accusations. Pas d’échappatoire possible. Reste la chambre/refuge en compagnie de la radio comme solution du moment.
Trouver des stratégies en fonction de l’étendue des sentiments évite à l’accumulation des jours de mettre en relief les failles qui se conservent en l’état, sans élargissement du phénomène. Habiter la maison de façon prolongée et continue c’est savoir doser la présence jusqu’à outrance par des jeux d’évitement, de création d’un petit refuge sécurisant, c’est aussi ne pas se sentir épié en permanence quand retentit la sonnerie du téléphone. Faire mine de s’éloigner, c’est être suspecté de relations externes secrètes ; aller se réfugier dans la voiture, c’est augmenter le soupçon. Chacun doit préserver son jardin secret et en même temps inventer là bonne distance.
Englués dans le corps de désir, d’autres trouvent refuge dans une hypersexualisation, antidote contre le stress et la peur. Que l’on se souvienne de la panne électrique qui a plongé New-York dans le noir en 1965 et le boum des naissances neuf mois après. Cet exutoire ne peut s’inscrire dans la durée car les personnes ont des différences de rythme dans le plaisir. Un équilibre établi par une diminution progressive de la fréquence est garant d’un apaisement serein. En cas contraire, le rejet peut aller jusqu’à ne plus supporter l’odeur de l’autre.
Les violences conjugales durant cette période restent une grande inconnue dans la mesure où l’agresseur va peut-être se sentir fragilisé par l’apparition de l’angoisse parce que pris au piège de l’enfermement, ou alors passer à la vitesse supérieure par une augmentation des actes destructeurs. L’échappatoire pour la victime est limitée, sans ouverture sur l’extérieur, sa détresse sera accrue par l’impression d’un isolement plus grand qu’auparavant. Reste à penser des moyens d’intervention inédits pour la protéger.
Les personnes seules, sans soutien familial ou amical se sentent démunies et en proie à une sensation de fin du monde et de mort éminente. Les personnes seules et âgées sont les plus vulnérables. Cette période particulièrement anxiogène a tendance à faire naître des idées suicidaires. Mais savoir qu’il n’y aurait pas grand monde à la veillée et à l’enterrement, constitue un facteur perturbant. Elles en parlent librement. L’accompagnement du mourant reste très important culturellement.
Des sujets actualisent le face à face avec soi ; profitant de ce temps de pause, dit-on, pour faire le point à propos d’un célibat subi ou voulu, du rapport aux proches, à l’avenir professionnel. Sans se plonger dans un questionnement existentialiste, ils essaient de tirer profit d’une socialité en suspens. Le confinement exacerbe les sens de certains qui sont confrontés au manque d’isolation d’un appartement qu’ils n’habitaient que la nuit venue et les week-ends quand le flot de voiture avait diminué d’intensité. Ils découvrent aussi la vie des voisins, privés d’activités journalières : une surprise à la hauteur de leur déconvenue. La relation au logement devient haineuse, insupportée jusqu’à en faire le projet de le quitter dès que possible.
Les animaux domestiques réagissent à l’humeur de leurs maîtres, avec ou sans jardin/refuge, ils encourent une modification du comportement. Evitement ou agressivité, qui après ce tourment les prendra en charge puisqu’il n’y a dans la région de psychanalyste ni pour chien ni pour chat.
Ce moment difficile incite à innover, à créer, à se dépasser aussi. Mais la clef pour surmonter les évidences perturbatrices relève de la mise en place d’une organisation. Agir avec méthode pour le bien-être des enfants, organiser la continuité de la scolarité, organiser le télétravail en aménageant un espace séparé de l’espace familial et domestique en inscrivant en grosses lettres : « Ne déranger sous aucun prétexte », cette discipline est le garant d’une continuité du travail et de son efficacité.
Les jours succèdent aux jours, le confinement est prolongé jusqu’au 15 avril. Ce temps qui m’est offert, disait une dame au début, s’est transmué en jusqu’à quand ? L’étirement de cette temporalité peut générer des séquelles à gravité variable sur le plan psychologique dont il restera à évaluer les retentissements après la pandémie.
La population guadeloupéenne a toujours fait montre d’une résistance exceptionnelle face aux différents traumas vécus depuis l’origine, mais cela ne veut pas dire pour autant que les effets de l’accumulation des stress ne vont pas la fragiliser.
Aujourd’hui un numéro : 0590991474 est mis à disposition pour permettre l’expression des malaises. A la fin du confinement, la Soulagerie recevra le mardi de 14h à 17heures, le mercredi de 9h à 13heures, le jeudi de 8h à 12heures, sans rendez-vous toute personne désireuse de libérer la parole et de confier l’indicible. La consultation est gratuite.
Fait à Saint-Claude le 29 mars 2020