Le secret professionnel

Publié dans Le Progrès social, n° 2653 du 23/02/2008

Les révélations qui alimentent la rumeur susurrent que les sources des informations proviennent de personnes bien placées. La véracité de leurs dires ne saurait être mise en doute, ou parce qu’elles ont accès aux dossiers de l’intéressé ou parce qu’elles sont en lien thérapeutique avec son corps ou son âme. Au décours d’un dîner, un utérus fibromateux, un accident cardio-vasculaire, un ulcère d’estomac, pourraient ainsi s’installer dans les assiettes, avant le dessert. La maladie qui devrait être de l’ordre de la chose privée, de l’intimité, court sur les chemins et les mornes anticipant une hospitalisation ou la mort prochaine d’un quidam en apparence en bonne santé. La confidence ne surprend pas l’ami proche au courant en même temps que la revendeuse du marché : sa discrétion l’obligera à écouter comme s’il entendait pour la première fois l’annonce du petit ou du grand malheur. Inutile de rajouter un fardeau à la peine de celui dont le cri du corps ou de l’imaginaire a fait l’objet de commentaires, de rappel d’un héritage génétique de la lignée, de la malédiction divine ou du giyon. Il n’a même pas eu l’opportunité  de décider s’il devait en parler à ses amis ou se taire. Il est en quelque sorte dépossédé de son mal dans le sens ou l’effet de surprise n’existe plus. S’il avait voulu mettre en scène, dramatiser, ou banaliser l’évènement,  son attitude n’aurait pas eu la réaction escomptée. Le pire, c’est d’entendre le mal dont il est atteint de la bouche d’un proche ou d’une connaissance. Quand il le sait, la question porte sur l’identité du diffuseur. Un casse-tête à chercher à qui il en a fait l’aveu. Mais quand il apprend ce qu’il ignore de lui-même, ou parce qu’il n’a pas voulu entendre ce que le spécialiste lui disait dans l’ambiance feutrée du cabinet, ou parce qu’il n’a pas compris le mot compliqué employé de façon défensive, l’évidence le foudroie. On touche à l’une des articulations les plus intimes du sujet et de sa vérité.  La vérité sur soi-même est indissociable de la souffrance de son dévoilement. Ajouté à cela qu’il s’inscrit dans la nudité de la parole dès lors que le statut du verbe lui permet de se réconcilier avec l’indicible.

A la limite, la détresse d’un parent travaillant dans une administration, et se doutant que l’homme qui fréquente sa fille ment sur sa condition sociale, matrimoniale, le pousse à consulter un dossier pour en faire part à son enfant, est concevable. La diffusion de l’information à l’intérieur d’un cercle restreint de famille semble moins grave, surtout s’il s’agit de manipulations mensongères. Mais consulter un dossier à la demande d’autrui pour un quelconque renseignement relève de la trahison de la confidentialité. Les érotomanes dont la pathologie amoureuse les persuade de rendre l’amour ressenti par la personne de leur choix, ont l’art de dénicher des informations afin de mieux connaître l’aimé. La délivrance des fiches d’Etat-civil sans procurations officielles demeure un mystère. Tout savoir des habitudes, de la sphère privée, des goûts de l’objet du désir  semble un jeu d’enfant. Il est rare, cela arrive, qu’un érotomane se serve des informations obtenues sur son lieu de travail. Il est passible d’être accusé de faute professionnelle. En vertu de l’article 10 de l’ordonnance du 04 février 1959 et l’article 26 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires de l’Etat et des collectivités locales, certaines catégories de fonctionnaires sont tenues au secret. L’obligation de discrétion résulte aussi de la loi, ainsi que l’obligation de réserve : il s’agit de ne pas fragiliser l’Administration par une prise de position intempestive nourrie de références indiscrètes. Toutes fois, la sanction des violations de ces deux dernières ne sont pas pénales mais uniquement disciplinaires. Mais le respect du droit des usagers, s’il est violé par une personne dépositaire de l’autorité publique est lourdement sanctionné. Le secret des fonctionnaires est particulier parce qu’il ne peut être partagé qu’entre agents d’un même service. La réclamation de renseignements confidentiels sous couvert d’une meilleure prise en charge d’un usager, est encore un fait qui révèle la méconnaissance du droit. Les services de la Défense Nationale sont tenus au secret renforcé ainsi que les services de la diplomatie. L’existence de fonds secrets ou fonds spéciaux autorise le Premier ministre, sans aucune pièce justificative, à obtenir de l’argent du comptable public, sans rendre compte de son utilisation ; la loi du 27 avril 1946 rend licite cette utilisation occulte de l’argent public.

Le secret, lorsqu’il est lié à l’exercice de certaines professions devrait être absolu.  L’exemple du secret et du droit le rend moins sûr. Comme cette loi du 22 juillet 1992 portant réforme du code pénal  qui dispose en son article 226-14 : « l’obligation au secret n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. »  Le corps social propose que le secret qui entoure la vie privée d’un sujet trouve sa limite dans l’impératif de sécurité collective. En clair, un consultant avouant la transgression d’un interdit à un thérapeute, se verrait dénoncer à la police par ce dernier. Le dilemme engendré par le refus d’être un auxiliaire de justice et l’idée d’un probable passage à l’acte d’un pervers est homérique. Une position intermédiaire devrait être trouvée afin de rendre acceptable l’espace thérapeutique, liberté dont le professionnel doit user en fonction d’impératifs éthiques. Le prêtre ou le ministre du culte ainsi que le défenseur de justice détiennent des secrets inviolables. La protection d’un intérêt privé empêche la divulgation des faits confiés en les ramenant à un statut d’ordre public. Le secret du médecin concernant le patient est garanti par le serment d’Hippocrate. Bien sûr  sortir la maladie du dossier pour le promener dans les rues est interdit. S’agissant de la conservation des informations collectées, le médecin devient le dépositaire d’un savoir que le patient ignore. Longtemps, le médecin est demeuré seul maître du secret. L’évolution des exigences de santé a permis une plus grande gestion, donc une meilleure connaissance des symptômes des maladies. La conscience d’être  propriétaire de son corps a aidé le malade à décider de ce qui était bon pour lui, à se déprendre du pouvoir médical.  La tendance générale est de permettre à la personne suivie de savoir ce qui lui arrive, de lui dire la vérité, de manière acceptable afin qu’elle puisse l’aborder avec la plus grande sérénité possible. La manière crue, trop franche, obtient un résultat contraire à celui escompté : l’intégration de la réalité. La vérité doit être dite aux enfants qui ne pardonnent pas à ceux qui leur mentent. L’astuce consiste à obtenir leur complicité en s’alliant au soignant contre la maladie.

Le nouveau code pénal ne cite plus à la différence de l’ancien une catégorie professionnelle. Toutes les professions ou activités soumises au secret ne se voient pas imposer ce statut à raisons de textes particuliers  mais en fonction d’usages plus ou moins consacrés par les tribunaux. Lorsqu’il existe un doute sur la personne considérée comme dépositaire par état ou profession d’un secret, c’est le juge qui est appelé à statuer. Le code de la Santé publique contient les dispositions expresses prévalant dans les établissements hospitaliers dont les agents sont tenus collectivement au secret. La charte du patient hospitalisé invite le personnel soignant à ne donner aucune indication non seulement sur l’état de santé, mais même sur la présence dans l’établissement. Le code de déontologie des médecins prend soin de définir le statut de la médecine de contrôle au regard du secret. A bien y regarder, quand il s’agit de la déclaration obligatoire des malades contagieux, de l’aptitude physique à l’emploi, de la mise en oeuvre du programme de médicalisation des systèmes d’information ( PMSI), du codage des actes médicaux ayant pour but de rationaliser les dépenses de santé, le secret semble soumis à rude épreuve.

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