Publié dans Le Progrès social, n° 2578 du 02/10/2006
Paris est la capitale où l’art s’exprime en permanence, en toute saison. Les yeux et les oreilles s’emplissent de merveilles dont la résonance dans l’âme varie selon les sensibilités. La saison estivale favorise les flâneries du résidant moins pressé qu’à l’accoutumée, pas rythmés sur la chaleur grandissante du mois de juillet, mais attire aussi des flots de touristes du monde entier. Le samedi et le dimanche ils se dirigent tous vers le musée des Arts Premiers ( le politiquement correct exige cette appellation au lieu et place de Arts Primitifs, alors que « primitif » pourrait s’entendre comme initial ) situé quai Branly. Sorti du métro Bir Hakeim, la tour Eiffel aperçue contemple de haut cette foule agglutinée en longue queue devant les guichets, arrosée part des moulins brassant de l’eau fraîche, déjà à 10 heures le matin, afin que nul ne meure de déshydratation. Il faut la dépasser et longer le trottoir de droite sans traverser la Seine comme a affirmé un militaire mitraillette au poing flanqué de deux autres armés comme en temps de guerre-« Circulez, nous veillons sur votre sécurité »- loin des préoccupations de l’art, jusqu’à avoir le souffle coupé d’avec cette rencontre du mur végétal ruisselant, mélange de vert, de roux tacheté du violine des fleurettes à peine écloses, parsemé de jaune discret. La mousse dans la multitude de plantes grimpantes entrelacées, est vivifiante! Le ton est donné, la curiosité exacerbée avec ces 29 boîtes colorées aux dimensions variées accrochées à la façade. Quel succès ! Une longue file d’attente déborde dans la rue : pour celle-là pas de moulins à eau aux gouttelettes revigorantes. A travers le plexiglas de couleur bordeaux se voient des espaces verts plantés de petits arbres et de gazon naissants qui s’étalent devant une architecture futuriste aux tons chauds rappelant l’ocre du sable du désert et le cuivre du henné. Heureusement dès le franchissement du mur de plexiglas le regard trouve de quoi occuper le temps : çà et là des scorpions pris dans la pierre cristalline, transparente, des algues, des fossiles, des praires jonchent le sol. Le billet d’entrée ne sera tenu en main qu’une heure plus tard malgré les quatre guichets où se délivrent en même temps des guides vocaux jaunes de forme téléphone, pour les étrangers. Hôtes et hôtesse circulent en uniforme de classe dont les coloris ( gris et violine pour les femmes) changent de l’ordinaire ; attentifs, ils repèrent dans la foule les personnes très âgées, les handicapés, les femmes enceintes, les familles avec enfants en bas âge, les priant de les suivre au guichet prioritaire prévu à cet effet. Tant de sollicitude, il y a de quoi rêver ! La terrasse à gauche reçoit une foule bigarrée, assise à des tables de bar entre lesquelles se faufilent des serveurs pressés face à la grande soif des personnes soulagées d’avoir franchi l’espace entre la rue et l’allée menant jusque là, pendant qu’un ou une sacrifiée tient le tour dans la file qui s’écoule lentement, trop lentement dans l’accablante touffeur de cette journée de mi-juillet, succédant à d’autres identiques par la température. Le hall frais est saisissant de légèreté et de pureté tant l’air inhalé est vivifiant. L’atmosphère tamisée donne de l’ampleur à la rectitude des lignes du comptoir derrière lequel des hôtesses sourient attendant de dispenser des informations à l’hésitant, pendant qu’un employé au pied de la montée bordée de deux rampes, signale par sa présence la direction à prendre. La curiosité qui oblige à arpenter ce hall immense où filtre la lumière à travers les vitraux en hauteur, fait le constat de l’inachèvement du lieu : des portes closes sont prometteuses de merveilles futures lors de visites prochaines. La chose était déjà pressentie à l’achat des billets : celui de « un jour au musée » n’était pas encore à la vente. Pied droit, pied gauche, un pas, puis un autre, la montée raide s’accompagne de devises, d’adages, de proverbes projetés sur le sol dans les tons vifs et lumineux où des visages et des groupes s’entremêlent au beau milieu de l’avancée. Défilé continu excitant l’appétit des connaissances, la féerie commence. De dos s’aperçoivent des personnages, des tambours, des sagaies dans des vitrines rondes. Les murs des rampes sont incrustés de l’histoire de la désertification, de l’eau, du vent des contrées lointaines. Il suffit de poser le doigt sur l’écran. Les Arts premiers sont à l’honneur avec ces trois expositions permanentes : « Qu’est-ce qu’un corps ? » Le corps n’est jamais solitude ni enfermement comme dans la pensée occidentale, il est rattaché aux Divinités, aux autres, aux animaux. Il est un corps social vu parfois sous l’angle double de la victime et du prédateur. « Ciwara chimères africaines » La richesse des cimiers Ciwara, masques antilopes portés lors des rites agraires, des funérailles, des cérémonies, sont de véritables trésors. Ils en disent long sur le mythe d’origine fondamental du Mali. La reconnaissance des spécialistes de l’Afrique leur a donné un statut d’œuvre d’art. « Nous avons mangé la forêt. » Celle d’Océanie. Ces expositions disent l’ingéniosité de ces peuples pensés longtemps inactifs, montrés assis et improductifs, chasseurs/cueilleurs sur une terre non méritée d’Afrique. Les créations démontrent le contraire, dévoilant un univers mal connu où le face à face avec l’Asie, l’Océanie, les Amériques donnent de l’ampleur à un passé où les cultures du monde sont distinctes et en même temps similaires de par l’usage quotidien de l’art. D’un continent l’autre, les objets rituels, cérémoniels, les statues, les vêtements ornementaux, les bijoux, montrent les liens entretenus avec les Divinités des divers mondes. Les pratiques de la guerre ne sont pas en reste, beaucoup de massue et de bâton à casser les têtes en Mélanésie, au Japon, en Amazonie autant qu’en Afrique, les masques, les arts du tissage, les sièges, les sculptures racontent après tant d’années les occupations journalières de gens vivant en groupe. Peuples tour à tour guerriers et pacifiques, la minutie jusque dans le détail dépeint les caractères dans la reproduction de l’interdit. La reine porteuse de coupe des bamiléké du Cameroun aurait-elle osé mettre le doigt dans un pot à miel surplombé d’une tête sculptée à la bouche désapprobatrice et au regard autant sévère que menaçant ? Ce qui frappe c’est l’évidence de l’universalité de l’art, cette correspondance à des époques différentes des notions fondamentales de l’anthropologie qui posent autrui en égal. Que par la suite certains aient perdu ce qui constituait leur empire et la grandeur de leur civilisation à cause des rapports de domination, il n’en reste pas moins vrai que ce qui est montré là participe à une réhabilitation des peuples d’Afrique, un hommage rendu à la reconnaissance d’un savoir-faire d’une culture au niveau de toutes les autres, trop souvent passé sous silence. La statue androgyne du Mali remonte au X-XI siècle et semble la pièce la plus ancienne contemplée dans ce musée sans marches et sans escalier où le plan de circulation laisse au visiteur le choix de son premier émerveillement. Il peut régler son allure sur un temps défini ou dévorer des yeux ces merveilles en flânant. De 11 heures30 à 18heures30, avec de bonnes chaussures de marche les heures paraissent courtes à piétiner 210 mètres de long. Des pauses sont possibles grâce au rebord des murets ( aucun haut mur n’isole les espaces comme par une volonté de communication permanente entre les peuples) donnant assise au bas de dos pendant que l’esprit est tenu en alerte par des écrans encastrés où les films racontent les cérémonies, les festivités, l’insolite tel ces femmes griots narrant de village en village sous la lippe dédaigneuse des Anciens et le regard amusé des plus jeunes, à la grande joie de la gent féminine, l’histoire des désirs, des projets d’une génération prête à prendre une place d’importance dans la vie de la cité. Tous ces éléments rassemblés, l’Antique et le Moderne, la période intermédiaire qui jamais ne s’opposent même dans le constat d’une évolution, permettent au tout venant de faire un grand voyage d’où il revient ébloui. L’architecte a su donner une âme à ce musée agencé par endroits à la manière des grottes creusées à même la falaise, bénéficiant d’un subtil éclairage. L’harmonie entre les courbes et les angles en douceur crée une atmosphère presque feutrée. Pris par l’ambiance, les gens chuchotent.