Publié dans Le Progrès social n°2604 du 17/03/2007
Depuis quatre mois la course de deux candidats à l’élection présidentielle alimente la chronique, emplit l’écran de télévision. Cette femme et cet homme avant même que les partis ne se prononcent, se donnaient à voir par les médias comme les deux finalistes d’un fauteuil unique. Après le choix des militants, leur consécration à concourir était sans surprise.
La logique d’une mise en place orchestrée jour après jour, a comme un conditionnement agi sur tout le monde, pénétré de mots et d’images. La désignation du héros procède d’une construction de ce type. Il suffit de le couvrir d’attribut glorieux, de le draper de courage et de vertu. L’empan de fixation fait son œuvre dans l’imaginaire. L’édification d’une star est chose courante, faudrait-il encore qu’elle ait quelques qualités. La date butoir du dépôt de candidature a dévoilé plusieurs postulants, femmes et hommes en lice pour la place à l’Elysée. Un troisième homme se détache du lot et grimpe dans les sondages, baromètre qui renseigne sur les intentions de vote : outil de plus en plus fiable affirme-t-on dans les instituts d’où sortent les enquêtes.
Le coup d’envoi donné, les candidats doivent présenter les grandes lignes d’un programme suffisamment accrocheur : la concurrence est rude. Les thèmes choisis en fonction des attentes afin de marquer la différence et ajouter une note de plus, s’allient le poids des mots, le ton, la posture selon la nature du public. Une campagne propre avait-on annoncé ; sans emploi de noms d’oiseaux, de dévoilement d’intimité, de vie privée, de scandale enfin. L’amabilité semblait dominer quand l’atmosphère fut empuantie par une affaire de maison bâtie en commun, échappant à l’impôt, parce qu’édifiée en une société. Le rappel du mot d’Argenteuil accolé à la jeunesse des banlieues a fusé sans douceur, remuant une boue épaisse.
« Démission, ont crié les supporters, le ministère de l’intérieur ne saurait être utilisé à des fins d’inquisition et de dénigrement. » Les semaines ont amené l’oubli. On aurait pu le croire. Sauf que la rancune en éveil a entendu d’une autre oreille le mot créole. Un créolophone sans être linguiste averti aurait pu en expliquer le sens. Mais l’aubaine était trop belle. C’était l’occasion de donner en pâture aux ignorants de la langue régionale de quoi faire la une des journaux.
Malfaiteur/voleur, racaille, Kasé sa, sont-ils un exemple à suivre pour les futures générations dont le besoin de s’identifier en un symbole fort encourage à consulter les blogs ? Si les grands mots enchantent, les esprits retiennent l‘acrimonie d’une détermination à salir, spolier, voire détruire l’image de l’adversaire. Cela fait penser aux affrontements de boxeurs avant l’entrée sur le ring. La sourde menace pour ébranler la confiance du concurrent et effriter son assurance.
Comme il faut à tout prix innover, le changement n’accepte pas d’avoir un programme, mais un pacte. C’est mieux. L’idée d’un contrat non encore signé avec la population est d’emblée un engagement qui, s’il rencontre l’adhésion espérée sera respecté. La victoire finale tiendra lieu de signature, puisqu’un pacte se signe de quelque façon que ce soit. Qu’on se souvienne de l’histoire de la jarre d’or « gagée » en Guadeloupe : l’enrichissement pour le don d’une âme innocente.
Le discours va se concentrer sur l’emploi : celui des jeunes, le premier, qui s’il devait se qualifier, se mettrait au registre de la désespérance. Séduire cet électorat est une gageure ressentie par tous les postulants comme essentielle. A défaut d’aller au charbon, une aide financière lui serait allouée. Empêcher ou réduire l’implantation des entreprises à l’étranger, contrôler la fuite des capitaux, lutter contre la fermeture de manufactures et des ateliers, sont des idées identiques aux différents partis représentés. Du déjà entendu depuis deux ou trois septennats. Donc pas d’innovation pour l’emploi. Reste à augmenter le taux des aides sociales. Une mesure juste en faveur des plus démunis mais non partagée par l’élitisme et le capitalisme qui fait le pari de régler le problème, en deux ans maximum, des sans abris. De quelle manière ? A l’instar du hangar des clandestins en espérance d’un bateau pour l’Angleterre ? Sans toit, ils sont allés quelques kilomètres plus loin. Personne n’en parle.
La sécurité se place en numéro deux. La répression, le durcissement des peines, l‘encadrement de la délinquance s’attaquent aux effets et non aux causes. La violence, tolérance zéro. Quel plan, quelle programmation, quelle formation assurent la réussite d’une telle parole ? L’augmentation des effectifs de police, des îlotiers, n’a pas donné les résultats escomptés. Le constat des chiffres : une réalité à prendre en considération. La jeunesse en turbulence mérite l’ouverture de grands chantiers avec les spécialistes de ces questions ; elle ne saurait occulter la difficulté des familles. La sécurité a comme thème porteur l’immigration. Bouc émissaire d’une société en mal d’avenir, de quête identitaire doublée de morosité, l’étranger devient le responsable de tous les maux. Immigration voulue : les cadres, les chercheurs, l’élite. Applaudissements. Intégration, dit l’autre voix, non à la discrimination ! Personne ne fait plus l’éloge de la discrimination positive : un terrain glissant.
La séduction passe par l’écologie. Nous avons mangé la forêt, crevé la couche d’ozone ne savent se dire qu’en terme de : Nature à respecter, pollution à enrayer, celle de l’eau, celle de l’air, nucléaire à diminuer ( depuis le temps !) A la rescousse un emblème, une image forte : trois petits tours et puis s’en vont. Un autre emblème, sport et jeunesse, responsable de projet, porteur de la représentation d’une partie de la population. Innover encore et toujours. Traîner dans son sillage des symboles afin d’obtenir le maximum de voix. Les personnes âgées ne sont pas oubliées. Elles constituent un pourcentage de vote non négligeable.
Le pouvoir d’achat, les impôts, le logement social, sont un leitmotiv de tout temps.
Les modulations de la voix, susurrements pour les choses anodines, autoritaires et déterminées en proie aux idées fortes surtout quand il s’agit de critiquer le programme de l’adversaire, ou ironiques et moqueuses pour le disqualifier, tiennent en haleine. Les mots en Outre-Mer n’ont pas la même résonance que dans le froid ; les besoins non plus. Ici l’accent est mis sur le logement social, la restitution de la défiscalisation, en égratignant l’Etat cannibale à qui les Départements ultra périphériques rapportent de l’argent. Se renseigner auprès de la Sécurité Sociale et des organismes finançant le logement. Un rappel flatteur du nombre de nos idoles sportives a campé une fierté aux aguets et rempli de gratitude le coeur sensible des guadeloupéens. Ignace et Delgrès ont été aussi cité. Vive la résistance !
Partout le pacte est offert au jugement des uns et des autres, sans critique possible. Il s’agit de présentation. L’important consiste à se montrer, à se déplacer, à être en communion avec la foule, à la séduire, à lui parler le langage qu’elle veut entendre. La communication est l’élément primordial de l’élection, du choix du candidat. Emettre des mots, promettre en sachant que la durée impartie à gouverner ne permet de mettre à exécution les promesses. Aller partout, se montrer, tester sa côte d’amour. Mais comment se rendre à Argenteuil, pour celui-là, un vrai dilemme !
La montée des enchères se situe dans le pathique, l’émotion. Toucher l’âme en revendiquant un statut de protectrice, de mère aimante en voulant ce qu’il y a de mieux pour les enfants comme pour les siens propres. Larmes essuyées furtivement, identification. Succès du meeting.
Le discours électoral est une machine bien huilée où chacun entend ce qu’il veut, ce qu’il espère pour lui et pour les siens.