Publié dans Le Progrès social n°2683 du 20/09/2008
Certains pays européens, partis en chasse contre l’obésité et la surcharge pondérale, ont décidé d’imposer une taxe sur les aliments jugés trop gras, trop salés, trop sucrés. La France, ne voulant pas être en reste d’une attitude préventive, selon les décideurs politiques, a évoqué l’idée de prendre des mesures identiques.
Pour mieux comprendre ce qui se joue là, il faut décrypter les enjeux économiques à l’œuvre dans cette décision, mais d’abord analyser les relations que les Français et les caribéens entretiennent avec la nourriture.
L’acte alimentaire et son évolution
L’après guerre, ce temps de manque et privation fini, a imprégné l’imaginaire d’un besoin d’abondance. Les années glorieuses ont assis l’idée d’un accroissement économique sur tous les plans. Manger n’étant plus une nécessité vitale mais un plaisir, l’aliment entrait dans les biens de consommation. La facilité d’avoir tout à portée de main, le super marché s’occupait de l’offre, a permis non seulement à la ménagère mais à ceux qui y pénétraient – hommes, enfants-, d’acheter les objets de désir. L’élévation du niveau de vie, l’apport financier de la femme au travail, ont autorisé la pénétration d’appareil électroménager indispensable à la cuisine rapide. Du coup, les surgelés, les prêts à réchauffer, les aliments sous vide, la restauration expresse, sont entrés dans les habitudes culinaires des foyers. Les célibataires disposent sur les plateaux télé autant que dans les familles de la nourriture préparée dans les industries, dont les ajouts de sel et de sucre, la couleur et la présentation sont l’objet de grand marketing. Le goût est sollicité et flatté par le sucre partout introduit : le sucre est inné. Les autres éléments : salé, acide, amer relèvent de l’apprentissage ou de l’acquisition. Très tôt, le nourrisson apprécie les mets en petits pots présentés par la mère. Une nourricière dont les légumes ne rentrent pas dans la composition des plats ne les offrira pas à l’enfant. Plus tard, les bambins debout dans les chariots des hyper marchés choisissent les produits de la publicité : le vu à la télé. Ils guident le choix des parents qui se laissent entraîner dans le plaire sans cesse, comme si l’amour indéfectible de la progéniture était supérieur dans l’échelle de valeur à leur santé.
L’ère de l’idéal de réussite a imprégné de positivité l’image de femmes d’affaires minces et élégantes. Le top modèle, l’actrice sont des personnages de rêve. La volonté de s’identifier à la représentation de la force de caractère et à la féminité a participé au chou gras des nutritionnistes. Torturées par les régimes et la tentation de l’acte de dévoration, les femmes se vengent en mettant dans la bouche des enfants des ah de satisfaction. Elles leur laissent le choix du grignotage devant la télé ou l’ordinateur. Une bouche pleine ne peut formuler de revendication. Le même comportement s’aperçoit chez les peuples caribéens. Une petite nuance cependant est à notifier s’agissant des temps anciens. Une femme mariée se devait de prendre quelques kilos, synonymes d’abondance et de bons soins de l’époux. Elle signifiait son changement de statut. Le corps de jeune fille était abandonné. L’augmentation de volume du corps ne correspondait pas à une surcharge pondérale. La femme forte de la campagne n’était pas non plus obèse. La quantité de viande ( deux, trois cuisses de poulet, une entrecôte de 600 voire 800 grammes) la fréquence des boissons sucrées, gazéifiées, alcoolisées ( l’alcool fait grossir) ne tiennent pas compte de la nécessité d’une hygiène de vie. L’obésité de l’enfant et de l’adolescent prend des proportions inquiétantes sans que soit mise en place une réelle politique de prévention ici. Traditionnellement, chez les Guadeloupéens le repas dominical se prolongeait d’une portion de gâteau ou d’un sorbet au coco ou au fruit. La viande se dégustait deux fois par semaine, jeudi, dimanche selon la classe sociale. Le régime alimentaire n’était pas usité grâce à la connaissance empirique de l’équilibre entre légumes, crudités et féculents. Les fruits frais ne subissaient pas la moderne transformation en jus et conservaient leurs fibres. La population marchait plus fréquemment vu le nombre restreint de véhicules individuels.
La politique alimentaire
Les produits alimentaires les plus coûteux sont ceux qui se donnent le label bio, symbole d’absence de pesticide, de manipulation génétique, et les allégés. Allégés en matières grasses, en sucres, appropriés aux régimes. Les légumes et les fruits deviennent intouchables pour certaines couches de population qui se rabattent sur les surgelés et les conserves. Une enquête démontre que peu de jeunes personnes se nourrissent de denrées fraîches, que les seniors s’approvisionnent au marché et continuent à consommer les produits du terroir. On dénote les priorités ordonnées par la politique alimentaire. La santé a un prix. L’établissement de la taxe sur les aliments à risque d’obésité inverse la politique antérieure : pour grossir payez. Obtenez votre mauvais cholestérol en allégeant votre porte-monnaie. Au lieu de rendre accessible une nourriture plus saine, on s’acharne à culpabiliser les consommateurs. Le premier geste consisterait à diminuer le coût des produits frais – pour cela il faudrait que du producteur au consommateur l’ardoise soit moins lourde-. Les charges en sont responsables, dit-on. Ensuite poser la question de fond : les pâtes et le riz, aliments de base font-ils grossir ? Enfin établir une norme en sucre et en sel comme pour les colorants, à ne pas dépasser, en direction de l’industrie agro-alimentaire. Les moins nantis sont les plus concernés, leur goût est façonné par le milieu d’origine ; il est de transmission. Manger gras, salé, sucré ne peut s’effacer soudain. Comme dans le cas des déchets, c’est au particulier d’endosser la responsabilité d’endommager la planète et de détruire l’environnement, alors que l’industrie, en toute liberté invente des matières indestructibles, polluantes, sans être inquiétée. Dans le cas de l’alimentaire, semblable à celui du tabac, la surprise aura des retombées immédiates ; mais à moyen terme le résultat sera peu significatif par rapport à l’effet escompté.
Pour une prévention durable
La nutrition est une donnée d’une grande complexité. Elle doit être corrélée aux facteurs socio-économiques, à la culture, à la génétique. C’est dire que les individus sont inégaux face aux problèmes de surcharge pondérale. Celle-ci engloutit une grande quantité de féculents sans dommages pour la taille, telle autre se contente de becquées et s’oblige au rouler palper sur la bouée constituée. La focalisation sur la nourriture et les mesures restrictives voire punitives annoncées du ministère de la santé ressemblent à un règlement de compte envers le plaisir de manger et sa culpabilisation. L’hygiène de vie consiste en une nourriture saine, certes, mais pas seulement. Les exercices physiques, la diminution du stress, le maintien des liens familiaux sont aussi importants sinon plus que l’équilibre alimentaire. La faim augmente dans une situation de mal-être généralisé. La prévention durable doit passer par l’information. A la télévision, la bande annonce manger/bouger sous les publicités vantant des merveilles dégustatrices, n’est pas suffisante. L’accent pourrait être mis sur la nécessité d’une activité régulière dès l’enfance par le pédiatre et l’éducation nationale en valorisant les athlètes. Une action concernant le remplacement des boissons sucrées et gazéifiées des distributeurs par de l’eau, la vente des bonbons en sachet de 150 au lieu de 500grammes, leur disparition près des caisses, seraient le début d’une prévention durable.