Publié dans Le Progrès social n° 2542 du 17/12/2006
L’information devrait se fonder sur deux critères de base : la véracité des faits et la clarté de leur retransmission. Dès lors, une vérification des sources est nécessaire avant diffusion. Mais la concurrence oblige à se limiter souvent à des parcelles d’évènements glanés ça et là sans qu’aucune enquête approfondie ne cautionne la fiabilité de ce qui est donné en pâture au public.
La course au recueil de l’information, à cause de la concurrence, transforme en scoop un fait qui aurait gagné à être replacé dans son contexte existant : origine et causalité, exacerbation et conclusion finale. Le scoop s’apparente à une réalité actuelle, ponctuelle, n’ayant pas d’antécédent, pas de passé capables d’expliciter un acte qui, présenté isolément n’a pas la même signification, mais inséré dans un ensemble d’éléments fondateurs, devient compréhensible.
Le scoop a comme particularisme de ne jamais renseigner sur l’évolution des choses et des gens. Le passage à autre chose recouvre d’oubli un sujet énoncé, alimenté par la chronique médiatique plurielle. Une fois révélé, son devenir semble n’avoir plus d’intérêt : la population étant du même coup barré du droit de savoir. Il n’en est pas ainsi pour l’actualité qui rebondit jour après jour, se suffisant de sa propre importance, nourrie de polémiques de personnalités politiques lui imprimant un cachet, une longévité, une fin. A croire qu’il y a une ligne de partage entre la catégorisation des informations.
Souvent, trop souvent, la radio, la télévision dit le fait divers de façon lapidaire. Par exemple une jeune fille de 13 ans a planté une arme blanche dans le ventre d’une autre de 17 ans, une nuit de rassemblement à 22 heures. La victime a été hospitalisée. Le lendemain accompagnée de sa mère, l’auteure de l’agression s’est rendue à la police. C’est tout, on n’en parle plus. La blessée a t-elle été grièvement touchée, ses jours sont-ils en danger ? L’enfant de 13 ans après sa garde à vue a-t-elle réintégré le domicile familial ?
Les journaux, obligation de remplissage aidant, essaient d’obtenir de plus amples renseignements. Les voisins vont livrer leur impression, fiers de leur participation, d’une image, d’une photo reproduite, désireux aussi d’une reconnaissance en tant que témoins. Ils ont vu et entendu ne serait-ce que les choses suggérées, brodant parfois sur une perception extérieure, sans lien avec le réel. Ils construisent une histoire à partir de bribes de mots, d’éclats de voix, de personnes entraperçues, non côtoyées, dont ils reconstituent le passé selon leurs regards et leurs représentations du monde.
Un homme à la mine renfrognée sera jugé dangereux le jour où il rossera sa femme/victime. Le caractère et la personnalité se lisent sur les traits, à telle enseigne qu’un monsieur courtois, souriant, bien mis, saluant l’entourage à la ronde, le jour d’un massacre, sèmera doute et incompréhension au sein d’une assemblée identique. Ce que recueille là l’informateur et qu’il restitue ne s’appuie pas sur une rigueur objective ; il procède de plusieurs récits parfois contradictoires, amalgamés afin d’en obtenir une trame plausible. L’urgence demeurant priorité, les rectificatifs viennent comme ajouts au dire premier non développé lors du renouvellement de l’annonce.
Un fait divers peut s’entendre différemment selon l’insistance portée sur un versant de l’affaire, ceci relevant de la seule décision du rédacteur. La tendance hard de l’info est corrélative au volume des écoutants. Cette radio ci ou celle-là donne un développement plus grand ou appelle un discutant plus ou moins crédible afin d’étayer le propos.
En fait, seules les généralités sont verbalisées de façon cohérente selon le niveau des connaissances de la personne requise. L’assassinat d’un prêtre n’a de portée explicative que du point de vue anthropologique. La personnalité de l’assassin, dans le direct de l’interview, ne recevra d’éclairage qu’à partir de la transgression de l’interdit. C’est dire la difficulté d’informer correctement.
Et pourtant une des croyances de la société repose sur l’idée que les médias n’affirment que la vérité. Ils ne mentent pas. Certaines personnes leur accordent une adhésion totale à travers les propos des spécialistes présentés. Rarement sont corrigés publiquement les dérives et les écarts du réel.
L’information devient incontrôlable quand elle passe en dehors des canaux officiels. Livrées à l’imaginaire, ses portions congrues, par leur insuffisance, accélèrent un processus d’accroissement. L’information initiale est ainsi gavée de détails correspondant à la vision intime de chacun. Elle enfle comme une rumeur dont elle finit par remplir la fonction, évolue en une succession de témoignages affirmés véridiques. Elle traverse les groupes sociaux fournissant des indications sur les modes de pensée, les classes sociales, les alliances politiques, la capacité d’analyse, les sentiments de haine et de pression, la volonté de manipulation.
Chaque personne propose d’en discuter avec ses a priori, de ce qu’elle croit être la vérité, sans se rendre compte d’une force de conviction impossible à modifier. L’insatisfaction de la parole transmise en témoignage tend à être remodelée du point de vue du receveur afin de lui donner meilleure posture et crédibilité. Elle s’enrichit d’autres imaginaires, encore et encore, jusqu’à ne plus être reconnue dans l’information de départ. L’agglutinement des apports vient combler les manques susceptibles de laisser des vides faisant croire à une mise à distance, à un refus de participation.
Le besoin de s’identifier souvent à l’agresseur ( quand l’acte n’est pas trop horrible), « puis la victime n’a qu’à se défendre », amène à prendre parti pour lui si la sanction est jugée inacceptable. S’aperçoit le caractère asocial d’une communauté qui exprime une grande tolérance envers la violence tout en l’accusant d’être propagatrice d’insécurité. Elle la banalise comme pour se protéger d’un danger inconnu, permanent, situé à l’extérieur mais qui est persécuteur interne. D’où le renversement de la perception de l’injustice. Une mère après avoir trouvé une punition exagérée à l’encontre d’un agresseur s’empresse de dire qu’elle ne supporterait pas qu’on puisse toucher à son enfant. Ce qui signifie que la souffrance d’un enfant victime autre que le sien, ne génère qu’indifférence.
L’information porte la responsabilité de sa méthode de propagation. Sa forme plus que son contenu a des incidences sur le fonctionnement mental d’une population ainsi que sa répétition. Il est reconnu que les personnes fragiles et les adolescents influençables en quête d’identification s’accusent de méfaits qu’ils n’ont pas commis. Plus ceux-ci sont horribles, plus ils s’en accaparent : le désir de célébrité. L’image montrée à plusieurs reprises fait émerger l’imitation. Le refus de propagande à la pression terroriste a décidé une chaîne de télévision à omettre l’image d’otages sous la menace des ravisseurs, une fois.
Que dire et comment dire ? Pourra t-on assurer la traçabilité de l’information qui justifie le contrôle strict de sa source ? Pour ce faire faudrait-il se donner les moyens de s’engager dans une voie à l’opposé de la démarche actuelle. La place occupée par le volume de l’information ne laisse plus le choix au public de distinguer pertinemment entre vraies et fausses données de l’actualité. Dans sa course à la concurrence, elle est en train de perdre son sens, celui de s’affranchir des effets pervers de la rumeur. Entre le contenu et la forme de l’actualité, reste à lui restaurer une cohérence d’ensemble.