La Soulagerie, un espace d’écoute indispensable (texte)

helene-migerel-tedxptp-hmp_0725Hélène Migerel faisait partie des 9 speakers de TEDxPointeàPitre 2016, conférence-événement qui a eu lieu le 5 novembre, à l’amphithéâtre Mérault, sur le campus de Fouillole de l’Université des Antilles. 

Ci-dessous le texte original de son talk. 

Elle s’est arrêtée au centre médico psychologique et a demandé à me voir. L’infirmier à l’accueil n’a pas pu lui énoncer la règle de la consultation uniquement sur rendez-vous. Dans la salle d’attente, au moment où je m’apprêtais à aller querir un client, cette jeune femme m’a lancé un tel regard de détresse que sans hésitation aucune, j’ai répondu à sa demande. Il était vital que la je la reçoive.

Elle était venue avec ses deux enfants, 6 ans et 8 ans. Ce matin-là elle les avait embarqué à bord de sa voiture avec une seule idée tête, les précipiter avec elle du haut de la falaise. Nous avons convenu d’un suivi psychothérapeutique. Aujourd’hui les enfants ont grandi, la mère va mieux.

Cette rencontre a généré un questionnement à propos des dispositifs très codifiés offerts à la parole libératrice, à la lourdeur de la machine administrative et au manque de réactivité dans une situation d’immédiateté.

Vous pas plus que les autres, vous n’êtes à l’abri d’un tourment soudain qui ferait vaciller le socle de votre construction psychique semblable à cet homme qui apprend qu’il est atteint du virus du sida. L’évidence des analyses le terrasse. Il a une famille. Comment rentrer à la maison, quoi dire ? Quel ami pourrait avoir en partage une chose aussi difficile à porter ?

La multiplicité des outils informatiques n’a pas augmenté la capacité d’une communication adaptée au contraire son champ s’est rétréci.

Communiquer c’est d’abord écouter.

L’exercice est caduc quand celui qui est pris pour confident, déverse sont histoire personnelle sur une âme en souffrance.

Parler à quelqu’un gardant les yeux rivés sur son téléphone portable, n’ayant de temps pour rien, pressé d’aller rejoindre son monde virtuel, ne mesurant pas la gravité du dire dans une communication parallèle dont voici un exemple :

Mon enfant est en garde à vue —–Je vais courir les soldes –moins de 70% de réduction, tu viens ?

Je suis complètement anéantie —–J’ai acheté un amour de boléro pour une bouchée de pain hier, je te le montrerai

De telles attitudes dénotent des formes de refus d’apercepter la douleur d’autrui, comme si par phénomène mimétique, elle s’attraperait.

Insatisfactions et frustrations ne suturent ni ne cicatrisent la béance du mal.

Se confier, c’est aussi encourir le risque d’une diffusion de l’information. On donne en pâture à des milliers de gens sur les réseaux sociaux des condoléances, entre autres, qui devraient rester quelque chose de l’ordre de l’intime. La prudence est de mise.

Le désarroi ne requiert pas obligatoirement une consultation psy, il aspire à être compris et entendu : pas de n’importe quelle façon, pas n’importe comment.

Libérer la parole quand l’intolérable submerge est l’objectif premier de la SOULAGERIE.

Ce concept nouveau sera ouvert à tout public à partir de 16 ans. Cet âge autorise un enfant à recevoir des soins donnés à un adulte, à ne plus être hospitalisé dans un service pédiatrique, et à faire quelques démarches sans être accompagné d’un parent.

Il suffira d’y venir  un jour de permanence, sans rendez-vous préalable et de pousser la porte. Pousser la porte n’est pas forcément aussi aisé qu’il y paraît ; mais les Anglais affirment que le bonheur est behind the door. ( le bonheur est derrière la porte)

Une fois la décision prise, un spécialiste psychothérapeute, psychologue, ou psychiatre,j’insiste sur la notion de qualification professionnelle car cette approche demande beaucoup de doigté et d’expérience, sera à l’écoute du tout-venant.

Nulle préoccupation  financière ne devra hanter la personne prête à raconter l’indicible. La gratuité de la prestation fait partie d’une chaine de solidarité, une aide apportée au mal-être de l’humanité.

La séance est unique mais s’il y a nécessité se de voir une autre fois, il n’y aura pas de troisième. Car la Soulagerie n’a pas vocation à instaurer une prise en charge à court ou moyen terme, à fortiori à long terme. Elle n’est pas une urgence psy ou une équipe traite en première instance les troubles du comportement. Elle n’est pas non plus un centre de tri qui orienterait vers d’autres structures les personnes ne correspondant pas à la philosophie du concept.

Mais si, il est décelé un dysfonctionnement nécessitant un suivi, une incitation à prendre rendez-vous dans une consultation psy peut être formulée.

Le principe repose sur un face à face où la présence du thérapeute est indispensable, la parole étant au centre de la rencontre. Venir là, comme parfois chez le psychanalyste et s’emmurer dans un mutisme même plein de sens, ne donnera pas les résultats escomptés.

Déposer un fardeau, s’en soulager, s’entendre mettre des mots sur une douleur morale sans contours et finir par l’identifier est signe d’une avancée  vers l’apaisement.

Tout ceci n’a rien à voir avec une thérapie brève où on arrive avec un problème et où on repart avec le même problème augmenté d’une énigme.

Quand le doute taraude sur ses compétences et ses performances, quand le cœur en écharpe réactive les blessures narcissiques, quand la pulsion destructrice conduit au bord du passage à l’acte, oui la soulagerie peut être une réponse apportée à la violence de moins en moins contenue ;

Le tout monde, dans l’anonymat, pas de dossiers, pas de discrimination de couverture sociale, peut en bénéficier en individuel ou en groupe.

Le séisme qui a anéanti Haïti en 2010 a permis de tester l’efficacité du système. Les adultes, puis les enfants ont été entendu, le stress post-traumatique de la catastrophe perçue ayant donné lieu à l’éclosion de symptômes.

La démarche en elle-même n’a  pas seulement tenu à l’instauration du débriefing émotionnel, mais l’originalité a été de permettre aux gens d’un même pays d’évoquer un ressenti identique et de se rassurer sur leur appartenance, l’exil pouvant être un élément désorganisateur de l’identité.

Et si par mégarde, croyant s’adresser au psychanalyste pour chien et chat parce que la bête ne miaule ni n’aboie, quelqu’un pousse la porte, le thérapeute devra assumer en suscitant la parole introspective du propriétaire de l’animal.

La réception du public doit se faire dans un lieu dénué de connotation de soins, parce qu’il ne s’agit pas de soigner mais d’autoriser à tout dire, sans restriction, sans crainte d’être jugé, d’évoquer des tracasseries qui mène à l’irritabilité, d’utiliser cette voie de dégagement, de se délester d’un poids.

La soulagerie ne saurait entrer en concurrence avec les institutions existantes.

La municipalité me semble l’espace le plus approprié pour son implantation. Pourquoi ? Parce qu’elle s’inscrit dans une neutralité où chaque citoyen peut s’y rendre, en toute quiétude, qui pour un document officiel qui pour une publication des bans de mariage. Elle se doit d’être la maison du peuple.

D’autres espaces, à l’exploration pourront faire l’affaire selon la considération des intervenants à venir, choix de lieu plus représentatif à leurs yeux.

Mais pour l’heur, le carrefour des solidarités de ma ville, au nom évocateur, accueille quand il le faut, de façon sporadique pour le moment la détresse de tous.

Le premier édile se donne les moyens de participer au mieux-être des concitoyens, sans parti pris, en mettant à disposition l’équipement.

Quand l’incendie d’un immeuble à porté atteinte autant aux gens qu’aux biens, l’écoute à mis à jour la culpabilité des voisins s’accusant d’indifférence et d’égoïsme

Les nuits blanches de l’angoisse se sont estompées.

En cas de malheur collectif, le soutien de la municipalité s’avère d’un grand réconfort.

La soulagerie peut être reproduite à l’identique dans les villes selon l’engagement du spécialiste. Basée sur le bénévolat, elle n’est pas dénuée d’éthique.

D’abord le projet doit être soumis au conseil municipal, qui ne pourra exercer aucun contrôle pour autant : il offre l’espace de réception.

A chaque partie de déterminer les modalités du contrat moral qui les lie. Les intervenants doivent adhérer  à des critères précis dont les valeurs sont inaliénables :

  • L’indispensable qualification professionnelle
  • L’engagement bénévole
  • Le secret professionnel
  • Le respect du jour de présence
  • L’acceptation du principe de la séance unique
  • La non exploitation de la clientèle à des fins privés
  • L’adhésion au principe de ne pas nuire

La diffusion du projet auprès des différents organismes regroupant des spécialistes de la santé mentale, la publicité médiatique devraient retenir l’intérêt de quelque uns.

Dans un temps second, la publication de travaux de recherche sur les causes du mal être exprimé permettrait de cerner les difficultés des populations dans le vent de la modernité et de les atténuer.

Chaque jour la démonstration marketing du bien manger, du bien dormir, à des fins de consommation envahit les imaginaires. Peu d’espace est réservé au besoin de dire dans un but  de décharge du trop-plein.

Et pourtant, qui n’a pas à confier quelque chose à quelqu’un ?

Pour voir la vidéo, cliquez sur ce lien.

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