L’hôpital en grève

Publié dans Le Progrès social n°2579 du 16/09/2006

Les consommateurs de soins reçoivent des informations relatives à la grève du Centre Hospitalier de Pointe-à-Pitre/Abymes ( CHU) de manière parcellaire, ou présentées par un des partis en conflit sans que l’autre puisse s’exprimer et donner un point de vue qui permettrait de mieux comprendre les mobiles de cette tension qui aura duré trois mois et 16 jours et qui continue avec l’utilisation du droit de retrait des services de psychiatrie pour la seconde fois. Quels sont les mobiles du mouvement de protestation des personnels soignants et techniques ?

L’année 2006 s’est ouverte sur la grève de la médecine B. Les agents se sont ligués contre : la dégradation des conditions d’accueil, de soins et d’hébergement des patients, la moyenne fiabilité de l’encadrement médical, la pénibilité de la charge de travail, l’absence de matériels de soins courants. Les médecins solidaires du personnel demandent la tenue d’une table ronde à laquelle sont conviés la Direction générale, le Comité Médical d’Etablissement ( CME), la direction des services de soins. Des compromis permettent la reprise du travail. Cependant le ver est dans le fruit. Dans une interview accordée à la presse écrite faisant remarquer l’état de délabrement de l’hôpital, le discours du Directeur Général se veut rassurant : il met l’accent sur l‘existence d’un projet de reconstruction de l’hôpital sur un autre site, affirme que la gestion financière est saine, que les maladies nosocomiales ( celles qu’on attrape durant l’hospitalisation) sont dans la norme, pas plus pas moins qu’ailleurs, que les médecins ne désertent pas les lieux, enfin que le CHU   « ressemble aux 28 autres CHU de France avec ses forces et ses faiblesses. »

En mars l’irritation syndicale s’exprime sur des questions de situations d’agents  (licenciements, liste complémentaire à un concours.) Aucun compromis n’est trouvé, chacun campe sur sa position auréolé de la légitimité de la défense des intérêts des personnes d’un côté, de la toute-puissance du pouvoir de l’autre. L’inévitable se produit et au mois de juin le CHU est dans la tourmente. Le syndicat dénonce une gestion catastrophique d’un déficit de 15 millions d’euros, l’inexistence du plan de redressement pénalisant le personnel et les malades, demande la réintégration des agents licenciés, l’engagement de négociation sur le projet d’établissement. Cela ressemble fort à une remise en cause de la gouvernance. Du coup, le personnel trouve caution à dévoiler les dysfonctionnements de l’outil de travail : la pharmacie expose ses préoccupations et ses inquiétudes usant de son droit de retrait ; la psychiatrie  suit le mouvement avec des revendications surprenantes : les locaux flambants neufs ne correspondent pas aux normes, ils subissent une dégradation rapide et graduelle allant jusqu’à des fuites d’eau au plafond. Les malfaçons des bâtiments seraient-elles passés inaperçues à la réception de la fin des travaux ? Toute réception de bâtiments à fortiori publics doit faire l’objet d’un constat de conformité avant d’être habité, l’hygiène et la sécurité passant au premier plan. A qui a été confié cette tâche, à personne ? Les clefs ont bien été remises !

La revendication se durcit à l’instar de la direction : elle réclame plus fort l’élaboration du projet d’établissement, la transparence du budget et des finances, l’amélioration des conditions de travail et de sécurité, le respect des droits syndicaux, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, l’édification d’un plan de formation continue. A lire ce qui est écrit sur ces tracts distribués dans la rue, on s’aperçoit de l’ampleur des carences de fonctionnement. Le Président du Conseil d’administration appelle à l’apaisement, il associe l’Agence Régionale d’hospitalisation (ARH) à ces vœux. Il va jusqu’à faire un geste symbolique dans sa croyance profonde à l’édification d’un dialogue : la remise d’une porte sur ses gonds. L’analyse dudit phénomène démontre la dimension d’un pouvoir sans bornes quand il est le fait d’une personne unique. L’injonction de remettre une porte sur ses gonds en échange de la création d’une liste complémentaire à un concours tombe sous le coup d’un non-sens. Comment peut-on mettre en jeu une carrière, plusieurs années de travail et d’études, pour un acte non ordinaire certes, mais significatif d’une communication non établie entre le personnel et la hiérarchie. Comment peut-on comparer des situations aussi dissemblables ? Cette porte remise à sa place initiale n’a pas changé la décision du début. Quand l’autorité semblable à l’autorité paternelle est péremptoire, elle fait fi d’un quelconque discernement, seule compte l’exigence de l’obéissance et la soumission. La grève est révélatrice d’instances psychiques où les affrontements pour la place, la reconnaissance, prennent racine dans les biographies ( les histoires de vie.) L’institution est comme une famille où l’image du détenteur de la loi ne saurait subir de contestation quand le fonctionnement est autocratique. Mais plus la rigidité est apparente, plus l’insoumission se révèle ; elle exaspère les comportements.

Les agents des Ressources Humaines lancent un pavé dans la mare. Ils se plaignent de harcèlement moral et accusent la responsable de ce service d’humiliations, de mise au placard, de mesures vexatoires. Savent-ils que la première des choses est de porter plainte seul ou en groupe afin qu’une enquête soit ordonnée et un dossier judiciaire ouvert? Tout à coup les personnes s’autorisent à porter au grand jour leurs conditions de travail déplorables. L’effet propagateur réunit en assemblée générale la chirurgie, la dermato, les services techniques, les sympathisants du mouvement à contester cette gouvernance avec laquelle aucune négociation n’est possible. L’hôpital présente des signes annonciateurs d’une incapacité à bien soigner, à bien accueillir ; il lui faut d’urgence une solution porteuse d’espoir. Une mission arrive de France, elle organise des séances consultatives avec les différentes catégories de personnel ( médical, cadres de santé, cadres administratifs, syndicats.) Ecouter, observer, analyser sont ses objectifs devant mener à des propositions, des suggestions mais certainement pas au renflouement des déficits financiers. Après constat d’un échec de négociation collective, la mission acquiesce au protocole de fin de conflit élaboré par le syndicat et le 22 août, sont apposées au bas du document les signatures des instances présentes : de concert, l’ARH, le Président du Conseil d’administration, le syndicat imposent à la Direction de se conformer à cette décision écrite. Le directeur se trouve désormais sous contrôle politique et hiérarchique. Au conseil d’administration revient l’évaluation et le contrôle du projet d’établissement mais surtout la clarification définitive de la situation financière du CHU. Les syndicats auront une participation plus grande concernant les dispositifs de gestion et d’organisation stratégique. Le règlement de la situation de la grève sera traité par l’ARH. Le désaccord de la Direction Générale ne saurait  se faire entendre, elle doit se plier à la chose imposée. Les organes de décision sont désormais l’ARH et la CME (Comité Médical d’Etablissement) qui ont une fonction primordiale allant au-delà de celle de la figure hiérarchique symbolique. Dans ce cas précis le désamour entre l’institution et son Directeur Général ne manquera pas de survenir car sa destitution de ces territoires de pouvoir imprime une blessure narcissique à travers cette humiliation qui ne dit pas son nom. La surveillance et le contrôle obligés portent à la connaissance de tous le constat d’incompétence entériné par la haute autorité de Santé, ce qui ne demeure plus une affaire uniquement locale. L’estime de soi subit un abaissement tel qu’il faudra des années de gratification pour en colmater les brèches. La déception se nourrit de rancœur, fomente une revanche à prendre. Les grands absents de ce temps de conflit ont été les hommes politiques.

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