Publié dans Le Progrès social n° 2513 du 21/05/2005
La grogne s’est installée à l’approche du lundi de Pentecôte ou chaque citoyen doit travailler un jour de plus afin de venir en aide aux personnes âgées et aux handicapés : un jour de solidarité.
Les institutions ont adopté des attitudes diverses en fonction de leur capacité à communiquer avec le personnel. Depuis le 1er juillet 2004, une circulaire ministérielle demandait de désigner un jour surnuméraire de travail pour l’année 2005, à la convenance, en guise de contribution citoyenne. Pour ce faire le responsable de la commune, de l’institution, avait jusqu’au 31 décembre 2004 : date butoir d’une réponse à donner. De juillet à décembre, le possible d’une concertation avec le personnel aurait du déboucher sur une journée de travail acceptée par tous : le lundi de Pentecôte n’étant obligé que pour les enseignants. Des communes ont opté pour le libre arbitre d’un jour, pas le même pour toutes, mais certaines ont pris le parti de transformer le lundi de Pentecôte en jour ordinaire de travail. L’éventail du choix de janvier à juillet donnait selon préférence la possibilité d’offrir un samedi, un jour de congé ou un RTT, la mi-carême (la plus plébiscitée par les personnes interrogées), le 21 juillet.
Le lundi de Pentecôte ne pouvait recevoir l’approbation d’une population catholique en majorité, habituée à fonctionner avec le calendrier chrétien et qui découvrait brusquement l’option prise par des institutions. Parce qu’il s’agit aussi de cela. La décision vécue comme autoritaire, imposée au dernier moment par une note de service les privent du calalou, matété de crabe, chiquetaille de morue au bord de l’eau, la rivière ou à la mer, en famille. La tradition veut que l’invitation faite à la parentèle élargie remplisse de satisfaction les estomacs et les sens. Bien avant la préparation culinaire, les ingrédients nécessaires à ce repas festif sont amassés selon le jour, la revendeuse du marché, qui la siguine et les feuilles de madère, qui la viande de porc salée, qui les crabes nourris à la mie de pain, mis à dégorger dans un récipient haut, conditionnent les comportements d’attente du lundi. Le dimanche a une dimension moindre, il n’est pas célébration gustative ; le calalou est meilleur réchauffé. La privation du rituel ne saurait advenir sans rouspétance. Depuis le vendredi soir les bagages sont installés dans les voitures, les enfants avec. Tout le monde roule en direction de l’hôtel retenu à l’avance pour cette fin de semaine prolongée au lundi 14 heures, pouvant s’étirer jusqu’à 18 heures si la clientèle à venir n’est pas trop nombreuse. Les familles qui se connaissent font salon au bord de la piscine, goûtent leurs mets respectifs quand ce lieu de loisirs est centre de vacances. Leur supprimer cette détente n’est pas aussi aisé qu’il n’y paraît.
A l’unanimité tout le monde acquiesce à l’idée de ce jour de solidarité : les syndicats évoquent la générosité des travailleurs envers les aînés, cela ne fait aucun doute, il n’est pas question de se dérober, mais ce qui bloque c’est le choix du lundi de Pentecôte et l’ignorance de ce qu’il véhicule culturellement dans les Antilles Françaises. Aucun autre jour ne semble avoir été avancé à sa place, aucune proposition différente n’a été examinée après les remous de cette annonce. Les prévisions disent que 55% des français n’iront pas travailler : 28% prendront un jour de congé ou un RTT, 14% feront grève, 13% des établissements seront fermé. A l’analyse des chiffres, on se rend compte que le lundi de Pentecôte est réellement le fait de la contestation pour presque la moitié des français et le refus d’un jour de solidarité pour le reste. A l’heure des referendums et de blogs, aurait-il fallu solliciter l’avis de la population active afin de ne point se retrouver dans l’impasse ?
Le lundi de la désobéissance pour les enseignants guadeloupéens subit des énoncés contrastés. Les syndicats appellent à une journée de grève et au boycott, demandant aux parents de ne pas envoyer leurs enfants à l’école ; une association de parents d’élèves cautionne la décision du ministre en enjoignant aux enseignants de s’y soumettre. Chacun tire la couverture à soi, persuadé de la prévalence de son point de vue. Les employés de la cantine, le personnel autre qu’enseignant, seront-ils à pied d’œuvre ce jour là ? Les parents qui travaillent quelle alternative auront-ils ? Une belle cacophonie qui aurait pu être évitée si un grain de perspicacité s’était glissé dans la machine à penser des décideurs. L’injonction a peut être été influencé par le nombre de jours de congé des enseignants, mois de juillet, mois d’août ; alors un de moins après un dimanche, une paille quoi ! On sait moins que l’enseignant peut être appelé durant le mois de juillet en cas de besoin.
Seulement voila, les arguties auraient gagné à introduire la notion d’une alternative de degré de plaisir, celui de la rue ou celui de la famille ; à la mi-carême ou à la Pentecôte. Les sensibilités ne sont pas les mêmes sous toutes les latitudes. L’enseignant prenant une part active dans le choix, ce jour de solidarité ne serait pas un jour à déguster la soupe à la grimace. L’erreur d’évaluation aurait pu être sujette à correction de la part de la direction locale de l’Education Nationale et puisque la prégnance des us et coutumes est ignorée des pouvoirs de tutelle des ministères, c’était l’occasion d’expliciter les dissemblances culturelles sans en omettre les ressemblances dans cette façon de rejeter le poids pesant de l’injonction autoritaire.
Les différentes communes ayant choisi le lundi de Pentecôte sans aucune obligation ministérielle ont-elles informées les individus ? Nombre de gens ne savent pas que c’est la municipalité qui a opté pour ce jour là, et leur rancœur est dirigée vers une figure lointaine inapprochable. La sécurité constituée par ce mécanisme de déplacement profite à celui qui dans leur environnement feint d’être tenu de respecter les impositions de tutelle. L’obligation porte sur un jour : de janvier à juillet.
Une liberté était laissée s’agissant de la date à l’instance locale. Il y a pire.
Une institution ne s’est pas donnée la peine de dire au personnel quel jour avait été retenu dans l’effort de solidarité envers les aînés. Aucune circulaire, aucune note de service affichée, le flou le plus total. A se poser la question du « travaille, travaille pas » l’incertitude de l’emploi du temps, son absence de prévision mobilisaient la colère de certains, les ruminations de quelques autres « tant que rien n’est dit », le mépris pour l’absence d’organisation et l’incohérence du système pour le reste. Tous pensaient en silence ne pas venir travailler avec des tiraillements contradictoires : l’excellence de l’employé sans reproches. Le mardi de la semaine d’avant le 16 mai, un coup de téléphone annonçait que lundi de la Pentecôte serait férié sans préciser quel serait le jour à offrir aux personnes âgées et aux handicapés. Quand des instances de direction ont du mal à mettre en place une organisation générale( gestion et maîtrise du temps, cohésion des tâches, prévision des activités) elle est incapable d’imaginer que sur le plan individuel des employés pouvaient adhérer à un autre type de fonctionnement logique ; c’est pourtant le tribut à payer à la performance, à la capacité et à la somme de travail accompli.
Que pensent les aînés et les handicapés de ces remous provoqués par un jour de solidarité qui leur est destiné ? Ils doivent savoir que la générosité n’est pas exempte de maladresse, que l’information gagne à être diffusée et que les décisions peuvent faire l’objet de débat.
Cependant ils font partie de ce monde, de notre monde et ne sauraient en être les oubliès.