Dans sa définition simple, la francophonie est le partage d’une langue commune le français qui a cependant pour mission de promouvoir la diversité culturelle et linguistique.
La femme actuelle a suivi la courbe de l’évolution sociale en accord avec le mode de vie auquel il n’y a pas d’échappatoire. Dès lors on peut s’interroger sur son possible choix d’ouverture, de mise à distance, ou de rejet d’un modèle étranger à sa sphère culturelle traditionnelle mais de surcroit essayé d’appréhender l’origine des déterminants qui lui dicte ses règles de conduite : transmission générationnelle, environnement, milieu socio professionnel ou alors bien-être individuel.
L’identité culturelle est ce par quoi s’articule une communauté humaine (sociale, politique, régionale, religieuse) en termes de valeur de pensée et d’engagement. A chacun de se définir par rapport au groupe, de reconnaître les valeurs dont il lui est redevable, de suivre l’évolution collective en y trouvant son perfectionnement personnel. De plus en plus, s’exprime une détermination de lier ce qui a été délié, un appel à l’origine et à la terre-mère, L’Afrique, l’Inde, comme si cette réappropriation contenait le germe de la réparation. Une terre, un ancêtre. L’incitation à parler créole ; manger créole, font référence à ici et maintenant, accent mis sur le terroir unificateur de la Guadeloupe : la Gwadloup sé tan nou. Ne s’agit-il pas là d’enjeux liés à l’identité et à sa construction ? Des revendications se font jour autour d’une volonté d’affranchissement d’une acculturation française afin de lutter contre une politique assimilationniste. Que devient dès lors la réflexion sur une créolisation mise en lumière par Édouard glissant, qui doit être unification des peuples quelle que soit l’origine ethnique, mélangeant les racines européennes, africaines, indienne dans une culture unique similaire au concept d’identité rhizome de Deleuze et de Guattari. La créolisation suppose que les éléments culturels doivent être équivalents en valeur pour que cette créolisation s’effectue réellement. Cela sous-tend que les éléments culturels en relation ne doivent pas être infériorisés par rapport à d’autres, ce qui ne l’empêche pas d’advenir tout de même, si tel est le cas. Mais sa réalisation n’atteindra pas le plein épanouissement.
L’identité sépare le soi du non soi, le clôt sur lui-même. Elle marque l’unicité (identité individuelle) la différence, mais elle est ce qui rassemble les identiques (identité féminine par exemple.) Le même n’exclut pas cependant le changement. Par ailleurs l’identité collective s’établit comme un système, un tout, un conglomérat qui échappe au déterminisme des individus car au contraire ce sont les caractères du collectif qui influencent les individualités. Souvent sont évoquées les différences et non les ressemblances. L’individualité s’efface donc au profit du collectif en termes d’uniformisation. L’identité culturelle risque de se figer et accepte peu le jugement porté sur une culture plutôt que sur une autre, critique soulignant ce qui serait acceptable, ce qui serait à proscrire. La notion d’identité culturelle soulève le questionnement du fondement d’une aspiration aux valeurs universelles, dans la mesure où la confusion associe valeur et tradition. Les cultures sont loin d’être des identités repliées sur elles-mêmes, puisqu’il n’existe pas de groupes humains n’ayant eu aucun contact avec un autre, ne serait-ce que dans une relation conflictuelle.
Le langage entretient des rapports avec la culture, le parler et l’écrit sont porteurs de signes culturels. L’analyse de l’expression créole doit mettre en lumière ses représentations. « Ou ni bel ti den » : ce constat qui se voudrait flatteur, va heurter la sensibilité de celle à qui il s’adresse. L’échec de l’approche s’explique par le déplaisir ressenti à l’emploi du créole empreint d’une connotation péjorative. Dans le rapport amoureux, après avoir fait plus ample connaissance, le créole se hisse à un niveau de contribution et d’approbation cadrant avec le principe des attentes mutuelles de la théorie de l’échange social. Mais de prime abord, la notion de valeur spécifie son degré de permission ou d’interdiction. Il s’agit ici de représentations : un homme ne s’adresse pas à une femme de cette manière. Cela la situe à une échelle sociale inférieure, la dévalorise, la traite de façon irrespectueuse, elle qui ne se hasardera jamais à s’engager sur cette voie. Cantonné à certains milieux, à certaines circonstances, la femme lui attribue encore une valeur de convenance. Lors d’entretien d’embauche, de diffusion du journal télévisé, de démarches administratives, le français reste dans la contrainte déontique qui provient de normes sociales. Dans certaines familles, la femme s’adresse à ses parents et à ses grands-parents en français moins souvent que l’homme. Seul son engagement syndical l’autorise à transgresser la norme. Le groupe de lutte de résistance fait voler en éclat son conformisme puisqu’il s’assortit de la notion d’appartenance, de marquage identitaire, d’actions collectives utilitaires, d’engagement. Les deux sexes sont sur un pied d’égalité, à telle enseigne que la Secrétaire générale de l’UGTG membre du LKP est une femme. Elle accorde des interviews en créole en dehors du cadre formel du plateau de la télévision officielle. Le féminin est toujours associé à la délicatesse, à la sensibilité, et conserve un ordonnancement du langage. On ne s’adresse jamais au thérapeute en créole pas plus qu’à une figure hiérarchique, colère exceptée. L’émotion met en scène la rudesse attribuée à ce choix, le mépris aussi qui serait inapte au compromis, à la négociation quand bien même la caresse en direction de l’enfant s’accompagne de mots murmurés en créole : vision binaire d’un comportement saturé d’affects. La conversation duelle, selon le degré d’investissement amical ou familial, se prête au créole, donnant un statut aux motivations propres. L’amalgame émotion /conformisme recèle des proportions qui peuvent varier selon la situation.
La reproduction des déterminants transgénérationnels balise la mise à distance plus que le rejet d’une revendication identitaire dans l’air du temps. La disparité entre les groupes pratiquant la langue maternelle minorée, en raison des difficultés de son enseignement dans un univers scolaire, renvoie à sa stigmatisation car elle est attribuée à une classe sociale défavorisée, à la pratique d’un métier, à une typologie des lieux et de l’habitat. Elle demeure sans conteste une langue privée des usages de prestige. Pourtant dotée d’une grammaire et d’un dictionnaire elle est inapte à l’expression scientifique où littéraire. Quelle serait votre réaction si cet article était rédigé en créole alors que mes émissions radiophoniques reçoivent une audience auprès du public. Le domaine de l’écrit n’impose aucune production féminine alors que des romans au masculin ont existé sans s’assurer une place commercialisable par manque d’intérêt. Mais au moins la tentative du créole dans l’écrit a affleuré la démarche du romancier et du poète. Les femmes pétries de culture maternelle, impriment aux phrases un agencement de mots parlés reconnaissables pour les gens du terroir, mots à l’accent partagé même non prononcé : « ou cours-tu là ? « Mets le canari sur le feu ». Le choix et la place des idiomes dénotent une imprégnation dont elles ne sont pas toujours conscientes, assurent une musicalité, une originalité qui dénonce la transmission, le regard souvent non limité à la fin de la mer, opérant un va-et-vient harmonieux entre deux réalités langagières, une rédaction française imbibée de culture créole. Qui aurait pu imaginer ce titre « Chair piment » autre que Gisèle Pineau ? Deux mots qui renvoient des images de désir, de jouissance et d’interdit, les enfermant dans un secret intimiste avec une promesse de dévoilement complice, attisant l’imaginaire amoureux. Le ça ne se parle pas. L’évocation érotisée s’entend dans le gloussement des gorges chastes, à l’affût des frissons, combien même le regard est désapprobateur. L’écrit permet toutes les audaces, donnant aux fantasmes une valeur de réalité. Je n’offre ici à l’analyse que le titre, pas le contenu de l’œuvre qui est autre, étalé dans la violence et la vengeance. La maîtrise du français, l’insertion de l’imaginaire guadeloupéen et ses formes de pensée dans l’écrit concordent à l’offrande d’une créolité édifiante. Un blanc passait par là, je l’ai fait entrer dans le livre a dit Maryse Condé parlant de la Traversée de la mangrove, elle dont la notion de couleur de peau a hanté presque tous ses ouvrages. Ti-jean l’horizon, de Simone Schwarz-Bart, héros traditionnel, nous emmène à la découverte des mondes jusqu’à la terre des ancêtres, fondement ontogénétique. Cheminement primordial, phénomène mondial, dont la résonance est universelle. Le contact des cultures (acculturation) démontre que l’agencement des héritages donne lieu à une édification harmonieuse d’une culture maîtrisée. Certains parlent de culture métisse qui à mon sens pose un problème d’interprétation. Toutes les cultures sont syncrétiques par un indéniable ajout aux cultures antérieures. La spécification énoncée plus haut, d’une créolisation où les éléments culturels doivent être équivalents en valeur pour qu’elle s’effectue réellement, met l’accent sur le langage qui n’est pas seulement un instrument de communication mais une manifestation symbolique de pouvoir. Choisir son mode d’expression c’est en même temps exprimer une appartenance sociale. Le pouvoir dont témoigne le langage est une manifestation de la hiérarchie sociale et se révèle comme un outil de domination. On doit tenir compte dans l’identité culturelle des apports qui évoluent, se croisent, se heurtent. Ces emprunts sont parfois d’une grande complexité. L’individu est dès lors à la croisée des chemins de plusieurs cultures. Son identité personnelle est le produit d’une identité culturelle multiple mais dont aucune ne le détermine absolument. D’aucuns affirment que les identités culturelles sont à préserver quand elles sont garantes des droits de l’homme. La sauvegarde des traditions, des langues, de la cosmogonie, la manière d’être au monde, est nécessaire, elle appartient au patrimoine de l’humanité. Le reconnaître, c’est acquiescer au droit à la différence qui n’élude certes pas des comportements quelquefois inappropriés. L’important est de refuser de se laisser enfermer dans des dogmes telle la crispation sur une identité collective ou une revendication d’une uniformisation déshumanisante. Le Qui suis-je où gît la question de l’identité, suppose l’existence d’une double identité individuelle et collective, la première pouvant se construire à travers une interprétation maîtrisée de la seconde. Être, nécessite l’exploration de plusieurs identités possibles, une construction de soi à partir d’une combinaison et d’une réinterprétation des identités.
L’identité peut s’entendre comme le résultat des choix individuels et comme le sens que chacun décide de donner à ses actes dans une perspective de la responsabilité de soi. c’identité de chacun est ce qu’il décide d’être, loin du dilemme supposé entre francophonie et créolisation, objets leurres assurément. Ce qu’on ne doit pas perdre de vue, c’est qu’elle se construit sous le regard des autres et dans le rapport aux autres. La recherche qui mène à considérer l’évidence de la place de l’autre en soi est une quête infinie non n’exempte de dangers mais tellement exaltante.
Fait à Saint-Claude le 14 avril 2024