Denis Deloumeaux ne doit pas mourir

Cadre administratif au Chu de Pointe-à-Pitre, il a marché avec le collectif des syndicats, longtemps, très longtemps, contre l’obligation vaccinale et la suspension des hospitaliers. Après une période vibrante de manifestations avec les autres, la solitude s’est imposée dans une prise de conscience de l’indifférence et du rejet des autorités envers les revendications. Le 10 février, il a décidé d’entreprendre un jeûne de protestation pour la défense d’une cause estimée juste et légitime, action qui met en relief une demande non entendue par les gouvernants. Sous une tente, dans le parking devant le CHU, un lit accueille son corps privé d’alimentation, par une détermination qui se lit dans son regard. Il en a parlé avec femme et enfants au préalable, conscient des dangers encourus tant sur le plan physique que psychique.

Une grève de la faim est marquée par des étapes qui progressivement affaiblissent l’organisme, dont les effets sont parfois ravageurs. L’humain a des besoins journaliers compris entre 1.200 à 1.800 calories. S’ils ne sont pas satisfaits, au bout d’un certain temps, selon le volume de la masse corporelle, les conséquences peuvent s’avérer catastrophiques. Denis Deloumeaux s’est engagé dans un évènement ponctuel qui brise l’attente de ces derniers mois. Sa volonté d’agir libère un message fort dont le but précis se joue sur le court terme. Il n’en pouvait plus d’assister à cette impossible négociation construite sur des postures hypocrites, ces ersatz d’ouverture avortée d’avance parce que la non-rencontre était programmée, ces reculades, ces mises en accusation et ce déplacement de la ligne des coupables. Les manigances perverses à des fins d’exaspération en édifiant des comparaisons dans les différences et les variétés de traitements entre la Martinique et la Guyane, n’ont pas fonctionné, mais ont nourri une amertume dans la mesure où les luttes pour la reconnaissance sont identiques.

Les conflits qui ont pour base les rapports de domination secrètent les mêmes enjeux stratégiques et identitaires. Les manifestations auxquelles il a participé démontrent que ces territoires clament leurs différences culturelles, leurs identités, leurs systèmes de valeur, niées, gommées auxquels s’ajoutent les enjeux sociologiques datant de mathusalem. Dès lors que l’évidence d’une maltraitance contre les hospitaliers était devenue intolérable, il a établi un lien entre les conséquences des actions d’anéantissement sur les suspendus, privant les humains d’un mode particulier d’appartenance au monde, et son corps dont il ne veut plus prendre soin. Assimilé au corps hospitalier, le sien devient le symbole d’une lutte pour une réponse claire et immédiate aux revendications toujours formulées en direction des décideurs responsables de l’édification des politiques publiques. La décision souligne le droit de vivre comme ultime action à tenter pour sensibiliser les environnements, tous les environnements à une cause qui ne saurait être muselée.

Cependant on ne peut connaître l’issue des processus que l’on déclenche. La plus grande crainte inspirée par l’obligation vaccinale, devrait consister en la révélation des formes dictatoriales insidieuses, ficelant la liberté de penser et d’agir que récusent les comportements de résistance. Mais les premières victimes réduisent déjà à néant l’aspect sous lequel le pays des droits de l’homme prétend se montrer en jouant au médiateur notamment dans le risque d’embrasement entre la Russie et l’Ukraine. Eventuel pacificateur dans un ailleurs lointain, et argument indépendant de toute considération morale, dans un département, soigner son image sur le plan international, c’est cela le plus important ? La société peut-elle laisser mourir un homme ?

Pourquoi faire grève ?

La nécessité d’attirer l’attention sur un fait, avertit que le plus grand danger pour l’aliénation par rapport au monde ne provient que de l’incapacité à produire de l’action. La protestation non-violente est édifiée sur des supports constitutifs à la personnalité, l’engagement envers le groupe, la réponse à la violence subie. Ces paramètres s’expriment structurellement chez Denis Deloumeaux à travers :

Le courage

L’agir qui fait sens à un déclenchement de processus devient dès lors la représentation du courage. Oser entreprendre une chose difficile, périlleuse, souligne une liberté individuelle auréolée d’assurance, de hardiesse, de confiance en soi. S’y accole le défi lancé aux autres mais aussi à soi-même à travers un corps solidaire de l’entreprise, capable de porter le projet d’endurance jusqu’aux limites du découragement. Point d’autocompassion : l’épreuve est rude. Son combat est d’expérimenter les frontières du supportable, de rester lucide sans misérabilisme ni plainte, d’accepter la souffrance et la peur reflétées dans les regards, et sourire, sourire au groupe dépositaire de joie et de vitalité, venu porter un message de soutien en emplissant l’air devant sa tente de sons de tambour Ka, de chants et de corps vibrants. Un essai de mettre à la place d’un corps qui se meurt, la vie.

Le défi

Le second défi concerne celui d’une bouche close dont les mots sont inscrits dans le comportement « Seul propriétaire de ma personne, le refus de me soumettre à votre diktat, annule tout prétendu pouvoir que vous croyez détenir. Je fais fi de vos ordres j’échappe à votre contrôle en inversant les rôles. Je deviens dominant parce que je détiens les règles du jeu. » Il est vrai que pour donner des ordres, il faut être sûr d’être obéi. Le prisme de la soumission à l’autorité est caduc. Forteresse imprenable, le je perturbe l’organisation et les projets inscrits au frontispice d’une obéissance espérée, jubile et se moque de la réaction obstinée de la défaite. L’Etat moderne comme monopole de la violence légitime, ne manque pas de s’attacher à traquer les résistances fondées sur la gravité de la menace qui reste sans effets. Perte totale du contrôle d’une part, maintien total du contrôle d’autre part. Convaincre et contraindre s’inscrivent sur le même registre : celui de l’échec. L’affrontement donne un éclairage nouveau au rôle de ce professionnel suspendu qui se situe en termes d’engagé intellectuel dans la mobilisation du mouvement. Il n’empêche que cette violence d’Etat génère une souffrance retournée contre lui-même, gréviste de la faim, en rupture avec sa trajectoire personnelle.

L’action collective

L’insurrection, la résistance, tissent des liens de solidarité, dans la constitution d’un nous. La compréhension des mécanismes qui s’y déploient a toute son importance. La solitude de celui qui jeûne ne brise pas le rapport au groupe, dans la mesure ou elle représente une transition dans la forme de mobilisation. La pression qu’elle distille joue un rôle dans l’interpellation de la masse et des élus. Perpétuer une mobilisation dans le temps est sujet aux incertitudes, à la répression, à l’usure des participants. La grève de la faim non seulement incite les manifestants à continuer, à aller jusqu’au bout de leurs protestations, donnent un regain aux hésitants fatigués par l’absence de négociations. Elle est la bannière incitatrice de la continuité de la lutte, insuffle un souffle nouveau, régénérant l’espoir d’aboutissement des demandes. Le corps privé de nourriture se veut porte-parole d’un groupe, reformulant une identité collective et sa mise en relief d’une de ses principales valeurs : la solidarité.

Le soutien de l’opinion publique constitue une ressource-clé. Baromètre de la crispation, de l’indignation ou de l’assentiment, le sondage qui est une mesure imparfaite de la mobilisation effective reste tout de même précieux pour évaluer la légitimité d’une cause aux yeux de l’opinion, la proportion du public qu’elle est susceptible de mobiliser et les types d’actions jugées acceptables. Par exemple, la réussite ou l’échec d’un mouvement tient à l’acceptation des gouvernants à le reconnaitre interlocuteur légitime. Le refus des ministres présents sur le territoire, d’établir le dialogue avec le collectif, a suscité une incompréhension doublée de tellement de colère, qu’un sondage réalisé peu à près aurait refléter le même taux de désaveu que celui des exactions sur les barrages.

Les barrages ont toujours été traditionnellement érigés lors de manifestations, ils sont l’indice d’alerte de la population et aussi d’information au sujet d’un événement conflictuel en train de se durcir ou de s’engouffrer dans une impasse. Le sondage par sa spontanéité peut se nuancer en fonction de situations survenues dans le post événementiel. Inversement, il montre comment les mobilisations arrivent à influencer l’opinion publique. Mais faudrait-il encore que celui qui sélectionne et présente l’information, détermine la perspective de l’évènement au sein duquel elle fait sens et s’ouvre à la compréhension. Sans image publique, les mouvements sociaux n’ont pas l’efficacité qu’on pourrait espérer.

Chaque samedi en France des groupes anti vax défilent dans le plus grand silence médiatique. Nulle information dans les journaux télévisés (on connaît la force des images), ne relate leur nombre et leur parcours; les réseaux sociaux s’en chargent. La grève de la faim de Denis Deloumeaux subit le même traitement, comme si son existence dérangeait autant que la parole au sujet des troubles et perturbations relatifs aux doses vaccinales. Les médecins acceptent le serment d’Hippocrate en toute conscience, même si plus tard leur mémoire ne leur restitue pas selon les circonstances les phrases au moins lues. Le journaliste dont le rôle est de transmettre l’information, devrait utiliser ses outils de décryptage, diriger ses propres enquêtes et refuser de prendre parti dans un domaine où l’idéologie guette chaque acteur. Mais serait-il contraint par le filtre important joué par la rédaction dans le choix et la problématisation des sujets ? Une information sélective ne relève pas d’une grande probité, ne donne pas de texture à l’identité professionnelle ; qui plus est, quand elle subit une déformation qui ne se contente pas de l’enregistrer, mais est corrélatif à certains intérêts, sa transformation devient manipulation.

La société peut-elle se permettre de laisser mourir un homme ?

Fait à Saint-Claude le 20 février 2022

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3 commentaires pour “Denis Deloumeaux ne doit pas mourir

  1. Je n’ai pas de mot pour exprimer ma souffrance intérieure vis à vis des pratiques infligées à mon peuple. Nous sommes des humains de passage sur cette terre. Nous allons tous mourir mais laissons la nature le faire. Mais pas de génocide pour nous exterminer. IL y a des tremblements de terre et autres catastrophes naturelles que nous pouvons accepter.
    J’ai mal très mal

  2. Il est inconcevable que nous ayons le droit de voter et pas le droit à la parole, à l’écoute.

    Quel est ce monde dictatoriale dans lequel nous subissons ?
    Tout est problème : eau, transport, hospitalisation, rendez vous médicaux, éducation, etc…
    « Nos » élus ne pensent qu’à leurs poches et à leurs proches.
    C’est agaçant, lassant, triste
    Denis Deloumeaux ne doit pas mourir

  3. Merci pour cette réaction/ analyse si juste, si pertinente.
    Face au choix courageux de Denis Deloumeaux, que peuvent/ devraient faire les Guadeloupéens ?

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