Cycle de violences

L’OMS définit la violence comme : « Utilisation intentionnelle de la force physique, de menaces à l’encontre des autres et de soi-même, contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fortement d’entraîner un traumatisme, des dommages psychologiques, des problèmes dedéveloppement ou un décès. » Cette définition concerne nettement les violences physiques. Mais les violences sont aussi verbales, sexuelles, psychologiques, sociales et économiques dans le couple.

Être victime de violence et le faire reconnaître relève d’une grande complexité quand la représentation populaire et la loi reconnaissent les violences physiques tandis que les violences psychologiques semblent mettre encore en difficulté à la fois les professionnels de la santé (violence non objectivement constatable) et les juristes (reconnaissance de la notion de menace, de harcèlement) par nécessité de certificat. Rien à présenter, aucune preuve, alors qu’elles représentent 50% des violences conjugales, avec un réel potentiel traumatique et ses conséquences psychopathologiques qui sont essentiellement post-traumatiques. Pourtant une définition de la loi s’agissant des violences conjugales dit qu’elles sont : « Toute atteinte ou toute menace d’atteinte à l’intégrité psychologique incluant les menaces, insultes, chantage, humiliation, dénigrement, harcèlement ou contrôle exagéré ». La mesure des marqueurs physiques de la violence échouait à repérer une partie des femmes victimes puisque la prise en compte des événements objectivement observables masquait la violence quotidienne psychologique. La mise en circulation d’outils de dépistage après leur création reste controversée.


Les critères favorisants

A l’origine était la violence façonnée par l’histoire du peuplement. La déportation, la mise en esclavage, la domination, la soumission, ont donné lieu à des comportements devenus normatifs insérés dans la culture. La rudesse de l’éducation, l’obéissance, les rapports hommes/femmes, dans une transmission et dans une continuité ont façonné des modes de vie.

Les familles à dynamiques violentes donnent assises à cette incapacité à gérer les conflits de façon satisfaisante. La compulsion de répétition s’aperçoit chez la victime et aussi chez l’agresseur.

La mise en accusation d’autrui dans l’absence de culpabilité consciente pave la voix à une victimisation sans cesse renouvelée.

La maltraitance vécue dans l’enfance et dans l’adolescence sont des facteurs aggravants qui doivent être explorés. Les violences vécues tôt sont des violences acceptées, leur accumulation mais surtout leurs interactions pendant la vie peuvent expliquer les séquelles plus ou moins graves sur la santé. Une re victimisation est une caractéristique qui s’impose parfois dans les relations délétères. Un exemple : les enfants abusés sexuellement, filles ou garçons, s’insèrent dans des réseaux de prostitution et offrent une résistance accrue à se sortir de cette trajectoire choisie.

Les cycles de violence

La rencontre amoureuse et sa perpétuation se fait sur des bases inconscientes : comme papa comme maman ou contraire à maman contraire à papa, selon les liens noués avec les parents, pour les deux sexes. Bases inconscientes, c’est-à-dire non encore identifiées. L’aimé est choisi. Passés les trois mois d’amour fou, les qualités octroyées à l’autre commencent à s’estomper. Les défauts apparaissent dans la phase d’amour lucide et malheureux pour atteindre la période d’amour lucide et heureux. Les obstacles sont franchis, on reste ensemble. Le sentiment nourri de désirs dure trois ans comme chez tous les mammifères. Il est nommé amour communément et usité dans le langage courant pour exprimer les ressentis envers ceux avec qui existent des relations sexuelles. Vous comprendrez mieux quand je vous dirai que l’amour en sa définition psychanalytique c’est : « Vouloir donner quelque chose que l’on n’a pas à celui qui n’en veut pas Donc ce n’est jamais ça ». L’amour est un objet leurre. Après les trois ans de désir, le couple s’il ne passe pas par l’acceptation d’une construction apaisée d’un vivre à deux, va sombrer dans des turbulences, des griefs et des conflits, dont les prémices passent inaperçues. La violence est là en filigrane, parfois depuis le début, mais sa banalisation empêche de détecter sa répétition et son escalade. Beaucoup de victimes méconnaissent son apparition parce que le cycle vient brouiller par sa dysrythmie une évidence. Emprisonnée dans une spirale infernale, la victime a du mal à se sortir de la confusion. De façon insidieuse souvent arrive le dénigrement sous un ton badin, moqueur. Les reproches s’accentuent malgré la riposte. La première gifle est suivie d’une demande de pardon, de cadeau, d’une sortie, d’un comportement exemplaire jusqu’à faire le lit, la vaisselle, le lavage du sol. C’est la lune de miel. Un moment d’égarement, diront ces femmes fortes qui assurent vie professionnelle et maternelle sans faille. La salade manque de sel, le bol rageur traverse la pièce, aidé en cela par une main en colère. La salière se trouvait pourtant sur la table. La protestation justifie une avalanche de coups de poing, un étranglement, une projection sur le carrelage. Meurtrie, avec la honte en prime, la femme décontenancée, blessée dans son amour-propre, se sent soulevée de terre, portée sous la douche qui lave les deux corps enlacés où dans une oreille se murmurent les excuses : « Je ne comprends pas, j’ai des problèmes, cela n’arrivera plus ». Nouvelle lune de miel. Reprise du cycle. Cette spirale est un phénomène construit marqué par la démesure, l’intention, l’organisation et la poursuite. On distingue dans les couples deux formes de violence : une violence agression et une violence punition.

 La violence agression concerne deux partenaires impliqués dans une relation symétrique égalitaire quand l’un et l’autre revendique le même statut de force et de pouvoir. Puisque la relation est égalitaire, l’escalade aboutit à une agression mutuelle. La violence est bidirectionnelle, les acteurs en sont conscients, ils acceptent la confrontation et la lutte. L’identité est préservée, l’autre est existentiellement reconnue. Les séquelles psychologiques sont limitées et l’estime de soi conservée. Il y a une volonté de s’en sortir.

 La violence punition est inégalitaire. L’homme revendique un statut supérieur il s’octroie le droit d’infliger une souffrance souvent avec cruauté à celle qu’il classe dans un statut inférieur. La violence est unidirectionnelle et intime. Celle qui la reçoit reconnaît l’autre comme supérieur dans la différence de pouvoir. La victime n’a pas le choix elle se soumet contre son gré. Coups, sévices répétés, privation, humiliation nient son identité. Il n’y a pas de pause dans la violence punition : c’est une violence verrouillée, personne n’en parle à l’extérieur Les deux partenaires ont en commun la faible estime de soi. La victime est porteuse d’un important trouble de l’identité, un sentiment de dette envers l’autre justifiant les sévices. L’agresseur est souvent rigide, privé de toute empathie, imperméable à la souffrance de l’autre. Il est dans un total déni et refuse de reconnaître à la victime un quelconque droit, seul compte son violent désir de modeler et de rendre sa compagne conforme jusqu’à la briser parce qu’elle doit être semblable à l’image qu’il a du monde.

 Le recommencement du cycle avec des phases de plus en plus rapprochées de plus en plus graves a pour objet de contrôler en terrorisant. La victime émotionnellement vulnérable n’identifie pas ses phases comme cycliques mais les perçoit comme des éléments isolés. Elle ne cherche même pas à fuir mais espère que cette situation cesse. Elle pense qu’en s’améliorant, en faisant ce qu’il exige, mais quoi ? il mettra un terme à sa violence. « Cela finira par s’arranger » pense elle

La victime peut-elle être aidée durant ce cycle ? Examinons quatre cas de figure :
1. Quand l’agresseur est tendu : ses menaces, sa colère ses silences (le silence porteur de mépris est très mal accepté culturellement), vont donner lieu à des réactions chez la victime qui est inquiète, tente de faire baisser la pression. Elle est à ce moment accessible à la proposition d’aide.

2 L’agresseur exerce des violences diverses. La victime est humiliée et peut engager des démarches d’aide.

3 L’agresseur émet des justifications, s’excuse, minimise l’agression fait porter la culpabilité ; promet de changer. La victime tente de comprendre, veut l’aider à changer, se sent responsable, doute du bien-fondé des démarches de mise à l’abri.

4 L’agresseur demande pardon, parle de la thérapie, menace de se suicider. La victime reprend espoir lui donne une chance. Elle n’est pas accessible à une aide extérieure.

Les stratégies de l’agresseur sont de l’ordre de :

  • Manipulations. Le tout public parle de pervers narcissique.
  • Brouillage par la parole paradoxale. Exemple : tu es libre mais ne sors pas.
  • Utilisation de l’isolement en créant des conflits avec la famille de sa compagne
  • Alternance des périodes de violence et d’accalmie. Un homme après avoir laissé sa femme inerte sur le sol l’emmène sous la douche, la baigne, la porte dans le lit, l’induit de miel et la lèche de la tête aux orteils.
  • Utilisation des enfants, menacent de les lui enlever, dévalorise son rôle de mère.
    Imposition de silence : il est interdit de le contredire.
  • Absence d’explication : ne tient jamais compte des faits.
  • Inexistence de répit qui favoriserait la réflexion.
  • Se fait passer pour la victime.

Les conséquences de cette stratégie sont :

  • La perte de l’estime de soi, la dévalorisation.
  • La peur de représailles pour les enfants. La perte de confiance en soi.
    La peur de ne pas être crue.
  • La culpabilité.
  • Une minimisation des violences, une grande tolérance.
  • L’angoisse face aux obstacles, (logement ; ressources, travail)
  • L’isolement, la méconnaissance des droits, des dispositifs et des ressources d’assistance ce qui entraîne une confusion et une ambivalence chez la victime dues à la domination et aux psychotrauma.

Elle aborde une libération par étapes avec des allers et des retours. Les aidants doivent accepter cette réalité-là et en tenir compte.

À noter qu’il existe des liens entre les formes et les types de violence chez la victime. On retrouve associées aux violences physiques, des violences psychologiques et sexuelles à certains stades de la vie, petite enfance, enfance, adolescence, adulte. La victimisation se reproduit dans la famille, à l’école, dans les collectivités, sous forme de maltraitance, d’intimidation, de violence, avec le caractère répétitif et récurrent. La corrélation entre violences subies et violences physiques commises (un enfant violenté peut à l’âge adulte être un agresseur), s’explique par la continuité transgénérationnelle.

Les conséquences de la violence sont

1.Physiques : fractures, brûlures, strangulation, hématomes, atteintes oculaires, trauma crânien, fatigue intense, douleurs chroniques, céphalées, lombalgies, pathologies obstétricales, avortement prématuré, décollement placentaire, rupture des membranes, hypotrophie fœtale. Les grossesses augmentent les risques de violence physique chez l’agresseur. Infection sexuellement transmissible et grossesse non désirée à cause des viols.
2. Psychologiques : état dépressif, tentative de suicide, stress post-traumatique, intrusion de pensée, d’image, cauchemar, état de qui-vive sursaut, insomnie, trouble anxieux, conduite addictive, boulimie. Épisode de dépersonnalisation confusion et stupeur s’ajoutent au tableau des comportements paradoxaux dits de dissociation lesquelles résultent du blocage de la communication entre le cerveau émotionnel en hyperactivité et le lobe préfrontal qui est le centre décisionnel conscient. Manque de confiance en soi, phobie sociale, TOC, rite de lavage s’installent durablement.

L’impact de la violence sur les enfants est visible. 80% des enfants sont présents au moment des actes de violence. Certains assistent à l’homicide. Ils sont exposés directement ou indirectement. Quelques-uns s’interposent et subissent des blessures. Ils sont victimes de violences psychologiques graves entretenues par un contexte permanent de peur d’anxiété, d’insécurité qui impactent leur développement et leur construction tant sur le plan physique que psychologique que psycho affectif, le comportement et l’apprentissage. Ils ont une mauvaise perception de la loi et son rapport au masculin féminin. Ils reproduisent de la violence entre frères et sœurs, envers la mère puis dans la vie adulte. Ils ont une faible tolérance à la frustration, sont tantôt victimes tantôt agresseurs.

Reste à identifier les cycles de violence en étant attentif aux montées de tension. Si échec de la temporisation, déplacer son corps, sortir de la maison. Revenir avec une personne de confiance. Quand il y a agression, aller chercher un certificat médical et porter plainte que ce soit à la police municipale, à la police nationale, ou à la gendarmerie. Quelquefois le procès, la conciliation avec un médiateur, peuvent aboutir à l’acceptation et à l’estime de soi. Aujourd’hui de plus en plus, on voit poindre les couples catalogués de couples maudits, incapables de rester loin l’un de l’autre, s’abîmant dans des déchirements sans fin, dont l’attitude pourrait s’inscrire dans la définition : ni avec toi ni sans toi. La psyché des enfants s’en trouve altérée.

Dans ce monde lointain où règne le chaos la guerre et la colère, des femmes sont maltraitées, violés, tués, asservies. Dans notre monde, celui qui nous entoure, la Guadeloupe, sans bouleverse et turbulences immédiates des femmes sont battues, violées, tuées. Quelles que soient les latitudes, la femme est prise pour cible et les enfants aussi. Que pouvons-nous proposer afin d’éradiquer ce fléau ? D’abord ne plus s’agripper aux constats, aux chiffres comparatifs, aux mots écrits répétés inlassablement. Nous devons agir mais avec discernement, en évitant les pièges de la victimologie qui maintiennent les clichés où il est difficile de s’échapper. Mais pour agir, comprendre est indispensable. Comprendre que plusieurs paramètres sont à explorer et que des chaînes signifiantes les lient. En premier lieu :

  • L’éducation et la différence du mode d’élevage.
  • La représentation du modèle dans les familles à un dynamique violente où les conflits ne trouvent leurs aboutissements que dans l’agression.
  • La représentation du féminin du masculin : « Qu’est-ce qu’un homme ? » S’agissant des violences faites aux femmes, un critère de taille oriente les comportements. L’évolution de la femme s’est faite de façon significative alors que l’homme est resté engoncé dans des clichés anciens. En moyenne elle possède plus de diplômes de haut niveau qui orientent ses attentes et ses besoins. Son affirmation de soi, est ressentie comme une menace pour son partenaire qui se sentant agressé passe à l’acte. Face aux évidences d’agressions, des dispositifs de prévention permettraient de faire l’économie de telles exactions, ce qui n’empêcherait pas d’analyser le phénomène. La recherche commence à dessiner des pistes à suivre absolument.

La Soulagerie est un d’espace où la libération de la parole pour tous autorise d’entendre des vérités que certains n’auraient jamais avoué dans d’autres lieux : c’est un outil de prévention désormais incontournable Aujourd’hui, la femme violentée a les moyens de se poser la question de sa différence avec les autres femmes. Elle peut faire un parcours d’excellence, mais faudrait-il qu’elle refuse de se soumettre à tout assujettissement.

Fait à Saint-Claude, le 15 juin 2024

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