Bien dans sa tête, bien dans son corps

Au soir des vies, l’heure de la retraite venue, ceux qui ont travaillé sont partagés entre soupir de satisfaction d’avoir accompli une tâche sans faute professionnelle majeure et se réjouissent à l’idée d’un repos de longue durée qu’ils pourront mettre à profit. Des projets pleins la tête, lecture voyage ; plaisir à inventer, ils envisagent une vie débarrassée des contraintes horaires, faite de paresse matinale. Au début, ils profitent de la jouissance de ce temps qui leur est donné (comme en la période du confinement). Après deux mois de nouveau quotidien, quelque chose d’imperceptible s’installe à bas bruit. Une lassitude amoindrit la vivacité des pas, raréfie les sorties, les cantonnent aux courses domestiques. Cela se répercute sur le nombre de machines à faire tourner, le linge sale en diminution. Le choix des séries à heures fixes assoit le corps devant le téléviseur. Si d’aventure, le téléphone oblige à mettre le replay d’un épisode raté, le temps joue les prolongations dans le confort du fauteuil. On zappe. Subrepticement, l’ennui acquiesce au besoin de sucre, grignotage, ennemi installant du gras déformant la silhouette. On ne s’aperçoit de rien. La promesse faite à soi-même d’une activité physique régulière devient caduque. C’est l’entrée dans le cercle maudit de prise de poids, refus de sortir, de se vêtir (il faudrait une nouvelle garde-robe), de prendre soin de son apparence (à quoi bon le coiffeur), de se maquiller, de plaire. Le corps devient victime de désamour. Plaire à qui, à son partenaire, à son miroir ?

Si les invitations chez soi n’étaient pas nombreuses, elles sont barrées de tout projet. L’envahissement de la cagne, ce poids qui pèse sur tout le corps comme la moisissure de l’arbre, s’installe. La femme s’accroche aux tâches domestiques peu glorieuses qui non seulement ne donnent pas la pêche mais augmente le comportement improductif. La tâche entamée délaissée pour une plus urgente, non reprise, remplacée par une autre que l’on craint d’oublier, aboutit au phénomène DADA (défaut d’attention due à l’âge.) A la fin de la journée l’épuisement est égal à l’insatisfaction. Tout a été commencé, rien n’est terminé. L’homme devenu retraité, dont la partenaire travaille encore, se dépose en pyjama devant la télé, omet toilette et brossage des dents, enfile vite une chemise avant le retour de la femme. La clinophilie l’enserre si fort dans ses tentacules qu’il arrive par se faire surprendre n’en pouvant plus de faire semblant. Le constat de la dérive d’un homme autrefois gai, qui parlait fort, un tantinet gouailleur, vantard même, la déconcerte. Rien, il ne fait rien de la journée dans une maison/prison, passant de la télé aux jeux vidéo. Croyait-il que son corps était auto-nettoyant ? Que les chemises étrécissaient toutes seules et que les shorts à défaut de pantalons, sauvaient la situation grâce à l’élastique de la taille ? L’avancée en âge est corrélative à des items tels le modèle transgénérationnel, la personnalité, l’histoire de vie, la somme des échecs et des réussites, l’environnement familial. Ce qui va différencier les postures se situe dans la gestion des pertes :

La perte de l’identité sociale

L’appartenance à un groupe conforte l’humain dans son utilité sociale. Il est reconnu, identifié, partage les statuts et les codes de d’autres personnes du même groupe. Ces référents identitaires l’assignent parfois à une échelle socio-économique. La retraite scotomise cette identification, le replace dans un lieu sans statut. Le médecin, l’enseignant, n’ont plus d’interaction sociale. Ce manque cède la place à la nostalgie assumée peu ou prou. Quelques-uns parlent de ce passé avec beaucoup d’émotion des années plus tard.

La perte de la jeunesse.

La ménopause, la flétrissure de la peau, la déformation du corps (la graisse se déplace), ces changements peuvent être source d’anxiété. À 30 ans on peut ne vouloir renoncer à rien mais passer 60, il est nécessaire d’affronter la réalité. Renoncer au culte de la jeunesse amène à faire le bilan des deuils, c’est habiter son corps autrement, ce qui n’empêche pas de vivre en phase avec ses désirs.

La diminution de la libido.

Faire le bilan des deuils n’est pas chose aisée. La qualité évidente du vieillissement tient à une donnée essentielle en soi, celle de la présence ou de l’absence de la parentèle. L’amour prodigué par les descendants semble être la preuve que la vie de l’aîné relève de sa seule responsabilité. La solitude viendrait interroger son existence comme indicateur de l’échec de la relation affective dans une société où l’accent est mis sur nourrir pour être nourri à son tour. L’humain n’est pas fait pour vivre seul affirme la sagesse populaire. La solitude est redoutée et redoutable dans sa représentation. L’être solitaire est porteur de tares naturelles, innées ou acquises : par exemple il est difficile à vivre et empoisonne son entourage, il est frappé de malédiction, il expie des fautes les siennes ou celles de ses ascendants. Il est sous l’emprise d’un mauvais sort. Dieu et le diable sont à égalité de pouvoir. La solitude est entachée de mépris et de commisération. Les causes de la solitude sont :

La configuration de l’habitat.

En ville il est plus difficile d’entretenir des liens avec le voisinage vu le cloisonnement des logements.

L’individualisme qui consiste à replier sur soi.

Les conflits familiaux.

Quand vient la rupture pour des raisons multiples, l’organisation se désagrège par défaut de celui désigné qui se dérobe face à une tâche trop lourde, tandis que les autres maintiennent la distance, hantés par la déception et le sentiment de trahison. Des îlots conflictuels s’installent en fonction de ressentiments antérieurs réactivés par la honte et la culpabilité, celle qui rappelle à la conscience le devoir impossible à accomplir. Ces conflits dissimulent aussi la difficulté à assumer des modèles en pleine déchéance subissant la marque inéluctable du temps à laquelle personne n’échappe comme une image future de soi-même : l’effrayant en devenir.

Les troubles liés à la solitude

Les troubles alimentaires

Le moment du repas signe l’inexistence de la fréquentation du lieu. L’unique assiette posée sur la table devenue trop grande rappelle les instants ou les couvercles des fétous étaient soulevés par les uns et les autres selon l’ordre d’arrivée. Et plus tard, quand la formation des couples avait obligé à des résidences séparées, le fils devenu époux et père à défaut de s’attabler midi ou soir, apportait au quotidien sa gamelle, disant la supériorité de la cuisine maternelle, nourriture affective indispensable à son bien-être. Cruellement ressentie, cette désaffection va générer des troubles de la conduite alimentaire, parce que l’acte de se nourrir est associé à des données socio symboliques et affectives. L’abandon est le signe que le vieillissement ne peut constituer un phénomène intégrable dans un type de fonctionnement. Ici, il devient réaction. Manger seul est un signe tangible de l’isolement. La personne âgée ressent du mal-être et la souffrance psychique s’exprime à travers une incapacité à déglutir ou de la gloutonnerie. L’avidité provoque de la répulsion elle est cause pourtant de diminution des possibilités de l’aménagement de l’angoisse. Le manque à combler est infini même si manger est une source de plaisir et son refus une négation de ce plaisir.

Les conduites addictives

L’alcoolisme tardif surtout chez les hommes, le chagrin d’être sans personne ne serait-ce que pour être agacé dans une société où le groupe demeure la référence d’un style de vie, où une représentation de la maladie mentale englobe l’être solitaire sans amis sans famille, la personne âgée focalise la plainte sur le corps. Douleur des os, des articulations, du cœur, la demande médicamenteuse occasionne une dépendance. Alcool et médicament, alcool ou médicament, les effets sont parfois contraires, état de somnolence ou d’anxiété ou d’agressivité. D’autres formes d’addiction sont à souligner : les impulsions d’achats. Disposer d’un pouvoir, le démontrer à l’extérieur, attitude de domination sur les objets conforte la capacité à acquérir. Je veux je désire, je prends en achetant, dans l’exercice inconscient de camouflage du désamour. Il n’y a pas de loi obligeant à aimer. L’investissement foncier, l’accumulation de la propriété, tant de parcelles de biens réels qui laissent entrevoir une conduite régressive, donnant de l’importance à l’avoir comme dans la peur de manquer, véritable comblement d’une mal vie non verbalisée. Le solitaire ne trouve pas les ressources suffisantes qui l’aiderait à dériver une partie de ses tensions et à liquider son agressivité dans un échange verbal social. Entre midi et 14 heures, les transports en commun laissent descendre des personnes, prenant leur temps avec canne parfois, attirées par les machines à sous du casino. Retrouvailles avec un plaisir interdit, l’excitation est à son comble, à la limite de l’hallucination, le jeu pratiqué avec excès, les jeux de hasard, le grattage, le tiercé Quarté plus, cette propension à perdre et à gagner, comme si mourir et perdre étaient liés à ne pas perdre. La conduite addictive ne tient pas au fait de la personne qui la pratique elle s’inclut dans un contexte environnemental. Ces conduites à risque à y regarder de près, ressemblent à des substituts suicidaires non apparents. Leur décryptage révèle une nécessité d’abaisser le seuil de l’anxiété face à la mort en l’apprivoisant et en gommant sa possible effraction. D’autres ressemblent à des équivalents sexuels où la répétition de l’acte signale l’insatisfaction enfermant dans une contrainte de recherche infructueuse de plaisir. D’autres encore ont pour fonction d’atténuer l’angoisse par des mesures d’évitement conduisant à une dépendance psychique.

La solitude ébranle les fondements de l’individu. La personnalité la plus solide s’effondre parce que confronté à des affects et à des représentations que le sujet ne maîtrise plus. Des troubles s’installent parce qu’il se sent disqualifié dans sa fonction sociale, doublée de pertes successives (image corporelle, force physique, mémoire.)

Il y a-t-il des conditions au bien vieillir ? Sûrement mais elle serait de nos responsabilités. Si on considère que vieillir c’est se développer, la personne tout au long de sa vie est capable d’acquisition nouvelle, d’adaptation, cette pensée diminuerait la crainte de l’avancée en âge. Par exemple, la mémoire épisodique devient moins performante avec l’âge alors que la mémoire sémantique conserve son efficacité. Le développement de l’adulte âgé peut reposer sur des mécanismes compensatoires qui vont s’appuyer sur des fonctions indépendantes de l’âge pour pallier les déficits. Bien vieillir ne peut-être rester jeune combien même les pressions normatives prône une consommation à la criée d’une éternelle jeunesse. Le bien vieillir a pour socle la qualité de l’adaptation de l’humain à son environnement dans des diverses dimensions, telles somatique, sociale, cognitive et physico-chimique. Il est déterminé par l’état de santé, les capacités psychomotrices et cognitives.  Quand quelqu’un s’adonne à une activité physique ou intellectuelle nouvelle même à un âge avancé, il améliore ses performances au fil des ans.

Il existe une psychologie du vieillissement dont l’essentiel tourne autour de : l’acceptation de soiqui accroit la positivité à l’égard des autres, la confiance en autrui, qui draine amour et amitié. L’invention d’une nouvelle façon de vivre est un art.

: l’autonomie, cette disposition à décider pour soi, rend responsable de ses actes, permet d’assumer les responsabilités des problèmes et aussi de la réussite. La maîtrise de l’environnement empêche d’être dépendant des décisions d’autrui, du destin, du hasard, de la volonté divine. Ce qui veut dire que l’absence de contrôle est une porte ouverte au désespoir acquis.

: le savoir être utile qui donne sens à sa vie.

: le développement personnel avec pour objectif de prendre soin de soi en engrangeant des connaissances nouvelles, des apprentissages, dans un but d’enrichissement personnel.

Bien vieillir c’est vieillir le plus longtemps possible. La longévité se fonde sur la prospérité économique, l’amélioration des conditions de vie, l’alimentation mais aussi sur des déterminants hygiéniques et médicales. Une étude démontre que les personnes qui ont une représentation positive de leur vieillissement vivent plus vieux que ceux qui le considèrent négativement. Il en ressort que l’estime de soi occupe une place prépondérante dans la qualité du vieillissement. Une renaissance, conscience d’une richesse nouvelle, prouve que le bien-être est un état d’esprit. Pourquoi ne pas inventer une façon de vivre avec soi et avec les autres ? Assurer sa maturité sans imposer son expérience ? Suggérer sans proposer ? La certitude grise des aînés a du mal à rentrer au placard. Transmettre tout en pente douce. Être à l’écoute. Mettre au rebut sa susceptibilité. Vivre dans l’échange du voisinage, se faire plaisir, (ne pas oublier que c’est la dernière ligne droite,) élaborer des projets personnels rester du côté de la vie choisie non de la vie subie. Un plan de prévention consiste à parler à partir de 60 ans du futur à venir : le maintien à domicile en pensant à la modification de l’habitat si besoin est, la vie en ehpad en se renseignant sur la qualité de l’institution, la préparation de ses dernières volontés, testament, mode de traitement du corps. La mort ne saurait être tabou.

Bien dans sa tête bien dans son corps implique de renoncer au leurre de l’éternelle jeunesse en faisant front aux pressions des représentations. Néanmoins l’acceptation n’est que discursive quand les différents deuils, identité sociale, corps, ne sont pas faits. Une stratégie adaptative du faire semblant peut ignorer les miroirs, donnant le temps à la psyché d’aborder la réalité. Mais elle ne saurait être infinie. Une volonté de reviviscence libidinale cache dans les tables de nuit des comprimés pourvoyeurs d’excitation dans un grand défi à Thanatos. La modernité offre ses sites de rencontres ou femmes et hommes croient en cette promesse de vaincre la solitude en plus de nourrir l’illusion d’une séduction retrouvée. À chacun quand il le peut encore de trouver le moyen de jouir d’une vie qui n’est pas éternelle. Vieillir seul ou à deux, vouloir rejoindre les rives du plaisir et du mieux-être, s’arcbouter aux délices du jour nouveau qui se lève, c’est s’éloigner de l’angoisse de la nuit qui s’installe sans donner certitude aux paupières d’ouvrir les yeux sur les premiers rayons du soleil. La psychologue a un rôle à jouer dans l’accompagnement des personnes en butte aux difficultés de ce changement qui les entraîne parfois dans des dérives d’une grande complexité.

Fait à Saint-Claude le 12 octobre 2024

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