Les feuilles de cycas revoluta achetées sur le marché ou offertes par des amis, sont bénies par le prêtre durant la messe du dimanche des rameaux. Les croyants pratiquants de la religion chrétienne du monde entier se rassemblent, se mettent en marche, en procession, prient avec ferveur à l’église portant à la main pour la bénédiction la palme aux appellations diverses selon les pays : buis, laurier, fragon en France.
Les rameaux caractérisent le symbole de l’entrée de Jésus-Christ dans la ville de Jérusalem, acclamé par la foule qui attendait le messie. Le sol jonché de manteaux en guise d’accueil, correspondait à une volonté de pureté au sens de sacralité en direction de cet homme monté sur un âne, dont les sabots ne devaient pas être souillés. Signe de respect et de bienveillance autant que d’absence de souillure, entendons de péché, il fallait honorer celui qui venait de ressusciter Lazare. Les palmes brandis en sa direction sont restés des vecteurs de gloire. Les rameaux avaient déjà une portée symbolique dans la tradition juive. Ils étaient utilisés pour la fête des récoltes appelée souccot qui est une grande fête annuelle. Elle avait lieu à l’automne après la récolte de olives sous des cabanes faites de branchages de rameaux. Dans la tradition orientale, on acclamait les héros avec des rameaux verts synonymes d’immortalité. Immortalité qui transparaît dans le concept de résurrection de la religion catholique. Ils sont dès lors devenus les emblèmes de la victoire du christ sur la mort.
Le dimanche des rameaux, la messe la plus suivie des populations, commémore deux évènements : l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem, épisode relaté par les quatre évangiles canoniques et la passion du christ, sa mort sur la croix et sa mise au tombeau. L’appellation a gardé longtemps le titre de la célébration des rameaux et de la passion. La tradition chrétienne veut que l’on emporte après la messe, les rameaux bénis pour en orner les crucifix dans les maisons, geste de vénération et de confiance envers le crucifié. Les feuilles conservées toute l’année après bénédiction, sont ramenés au prêtre, réduites en cendres et le mercredi des cendres, imposés sur le front des fidèles. Geste rappelant la fragilité de la vie : « Tu es poussière, tu retourneras en poussière ». (Genèse 3 :19)
De la tradition à la croyance
Le rameau béni est un support cultuel qui hormis son sens religieux de vénération et de confiance permet au croyant d’inscrire évènements et expériences dans un ordre donné du monde. Il identifie sa fonction avec les modes de réponse concernant la souffrance, la mort, le sens de l’existence. L’âme manichéenne chrétienne, sa notion de bien et de mal, de divin et de diabolique, autorise d’accorder un caractère extensif aux pratiques. Des instances prennent place dans l’imaginaire donnant un autre type de fonctionnalité au rameau béni qui gère le manque, la peur, la vulnérabilité. L’entrée dans la maison lui confère un statut particulier, celui de la présence du christ. Le Notre Père,prière quotidienne, recèle la fonction protectrice de nourrissage et de rempart contre le mal. La croyance magique inscrite dans la bible : Tu ne laisseras pas vivre la magicienne », l’exorcisme ; souscrit à une authentification des maléfices, les auréolant de l’aspect du réel. Dès lors le rameau étend sa protection sur les gens et les choses. Il trouve place
- Dans l’entrée, gardien du seuil s’appuyant sur un crucifix, au-dessus de ciseau grand ouvert, dont le rôle premier est de couper les maléfices, entendons les neutraliser, il chasse le malheur. Il se glisse aussi derrière le miroir de la salle de séjour ou de la salle de bains. La crainte du jugement l’expose dans des lieux acceptables où le regard ne le reconnaît pas : les bouquets de fleurs séchées de la pièce principale, les plumes de paon décoratives, dissimulé dans un myriapode de couleurs. Ainsi l’occupant du logement ne saurait être catalogué de superstitieux vu le prestige de sa profession. Porte bonheur, le christ ressuscité entre et reste dans la maison. Le parfumage du vendredi est un acte purificateur contribuant à l’éloignement des mauvais esprits ainsi que les phénomènes de hantise. Le rameau est brûlé dans un encensoir à la fumée discrète pour ne pas affoler le voisinage. La poudre résiduelle est mise dans la terre des plantes, en appartement. En infusion ou en thé, à petites gorgées, le corps absorbe quelques épis du cycas voluta pour une promesse de bien-être intérieur autant physiologique que spirituel. Le buis français est déconseillé vu le risque encouru.
- Le berceau du nourrisson à la santé altérée, accueille sous le matelas la branche dotée de vertus curatives, à la même enseigne que le scapulaire béni par le prêtre sous une bible et porté sur la poitrine de l’enfant dans les temps reculés, en cas de toux incoercibles. Les résultats, disent les mères, sont significatifs. Garant de la santé, il rentre dans la composition du bain de feuillages destiné à l’adulte, bain de chance souvent en guise de recherche d’un emploi ou de consolidation des affaires économiques. Le gadézafè fouette le corps habité par un esprit malin, manifestation d’une crise d’envoûtement, à des fins de délivrance, plus chez les femmes que chez les hommes. La volée de bois vert opère la sortie du malfaisant dont l’envoi a été commandité par un ennemi. Rarement, un mort décédé avant l’heure et errant invisible dans les environs, pénètre un corps par effraction, impatient de trouver un habitacle, attendant la décision divine. Celui-là est plus facile à déloger, non investi d’intentions particulières envers la victime.
- Le rétroviseur offre à l’œil interrogateur une ou deux branches, jouxtant un chapelet qui se balance à chaque cahot de la route. Le chauffeur, assuré de ne point avoir de désagréments tout au long des jours, accumule les palmes qui s’effritent en vieillissant. De temps en temps, une, encore verte lie connaissance avec le sempiternel chapelet qui tient bon, conscient que son emplacement est une assurance sur la vie : celle du chauffeur, celle des passagers.
Porter une branche de rameau béni à celui qui pour des raisons multiples ne peut se déplacer est un signe de bienveillance. La période d’abondance de l’arbre est révolue, une maladie l’a décimé, faisant grimper les prix de façon vertigineuse. Les pépiniéristes tentent d’y remédier annonçant que ce n’est que sur la durée que les fidèles pourront s’en procurer. A l’occasion, une table avait été mise devant l’église et un donateur y avait déposé une quantité de rameaux pour tous que le prêtre avait béni à grande échelle. Le besoin perdure par-delà les mers au point que la parentèle expédie l’objet indice de protection, reliant les sentiments par une chaîne signifiante contenu dans le message affectif. Les générations futures auront par le biais de la transmission acquis des pratiques traditionnelles synonyme d’harmonie entre soi et autrui. D’aucuns se gausse du maintien des croyances dans la modernité. Les rituels balisent l’angoisse, resserrent les liens d’appartenance ; assoient l’identité, accréditent la foi. Il n’y a pas de contradiction entre la foi religieuse et la croyance magico religieuse, elles forment alliances. L’homme areligieux est un homme a-magique. En Guadeloupe, les croyants ont une utilisation du rameau béni au même titre que les croyants de pays lointains. En France, ils le plantent à l’entrée du champ afin que la récolte soit abondante et de qualité. Déposé sur la tombe au cimetière, il porte l’espérance d’une future résurrection réussie en vue d’une réincarnation de niveau identique. En Belgique, en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne, les rites autour du rameau béni sont nombreux et diversifiés. L’intégration de sa fonction de protection est semblable à celle qui frotte le pied de Saint-Pierre dans la basilique à Rome, faisant un vœu muet de guérison ou de délivrance du mal. L’approche est la même malgré la différence culturelle. Ce qui les relie c’est le degré de leur. Foi.
Il y aura moins de cycas l’an prochain ? La capacité d’adaptation des Guadeloupéens leur fournira des branches de substitution tels le bois d’inde, le laurier. L’importance du dimanche des rameaux qui ouvre la semaine sainte huit jours avant Pâques est remarquée. Elle reste la messe la plus fréquentée, office ou accourent les non pratiquants qui ne fournissent pas une explication limpide à leur déplacement, murmurant « que le rameau ne se donne pas et qu’il faut aller soi-même le faire bénir. » La coutume s’est accommodée de la transgression des règles anciennes.
Fait à Saint-Claude le 14 avril 2023