A l’origine des peurs

Les peurs ont une origine. Elles sont la résultante de situations vécues durant l’enfance, prolongées jusqu’à l’âge adulte, sans établissement de liens significatifs. Les petits de deux ans pleurent à la tombée de la nuit étreints par l’angoisse de séparation qui est une étape habituelle du développement. Cette phase ne devrait pas durer. Elle commence vers l’âge de 18 mois et peut aller jusqu’à quatre ans. Les parents en général gèrent la manifestation en fonction de la relation établie. D’aucuns fait preuve de fermeté tout en rassurant, d’autres cèdent à la demande d’une présence jusqu’à l’endormissement. Cette crainte exprimée envers le méchant des contes, aux aguets, dans le coin de la chambre, justifie le désir de dormir dans le lit de l’adulte.

Mais peut-on accuser les histoires racontées au coucher de créer chez l’enfant de la frayeur ? La perte de repères dans la nuit accroit sa vulnérabilité et l’angoisse de séparation désigne un danger précis, la peur d’être victime de la cruauté des monstres. Diable, diablesse et soucougnan viennent se heurter à son système défensif qui les utilise comme prétexte à son insupportable solitude nocturne, loin de la chaleur et de l’odeur des parents.

Longtemps, les enfants couchaient dans le lit des parents, par manque de mobilier d’une société de la misère ; qu’on se rappelle les lits clos en Bretagne, abolissant la distance des corps, l’unique pièce autorisant le partage de l’inconscient. La coutume s’est perpétuée quand bien même le niveau socioéconomique a installé un confort relatif dans certains milieux. La modernité et ses explications d’une perception infinie d’être le prolongement du corps maternel et les difficultés pour l’enfant d’acquérir une autonomie, ont eu raison de cette transmission ancestrale. Les contes ne sont en rien responsables du mal à s’endormir du tout petit.

Au contraire les personnages effrayants sont là pour canaliser la peur. Les histoires horribles contiennent les fruits d’or de l’imaginaire, elles favorisent l’identification au héros salvateur qui surmonte les écueils, se frottant à l’agresseur dont il va triompher. Le courageux est celui qui ressent de la peur et qui parvient à la maîtriser. Le paradoxe consiste à jouer avec l’appréhension de la rencontre de soucougnan en subissant l’effroi, à tester sa bravoure, puis à vivre l’aventure en la partageant avec l’homme au pied du fromager qui fichant un sabre à l’intérieur d’un cercle cabalistique dessiné sur le sol, oblige l’être surnaturel à demander pardon en tombant de l’arbre. L’échec de la vaillance et le réveil de sortie du cauchemar va le précipiter dans la chambre d’â coté. Ce que redoute par-dessus tout l’enfant est de ne plus être aimé de ses parent parce qu’il a fait des bêtises, d’être abandonné, de ne plus être le préféré. Il se sent souvent coupable de ressentir de la colère envers eux en raison des choses refusées, il leur en veut en essayant d’occulter ces sentiments négatifs.

La nuit amplifie alors ses émotions mal contenues. La menace surgit en la personne du malfaisant du conte. Les peurs peuvent être intenses autant qu’éphémères. Les histoires racontées dévoilent la complexité du genre humain, mettant à nu une ressemblance des sentiments ; les pensées agressives envers un frère ou une sœur, une lutte pour l’obtention d’une place privilégiée, l’émergence de rivalité précoce. Savoir qu’un personnage est traversé par les mêmes désirs, angoisses et fantasmes le rassure. Il n’est pas le seul. Les contes transforment l’affect de l’angoisse diffus et irreprésentable en peur localisable. Il découvre ainsi que la cruauté est une réalité à laquelle on n’échappe pas. Les peurs infantiles sont nécessaires, elles permettent d’anticiper et d’éviter le danger. Cependant la détresse de l’enfant est passagère, elle est tributaire du lien d’attachement avec la mère, de la construction d’un soi distinct et séparé de l’autre : l’individuation.

La persistance des peurs, à l’âge adulte, provient de traumas infantiles dont le souvenir a été refoulé. Ceux-ci constituent un important facteur de risque prédisposant aux troubles de l’humeur et à l’anxiété. Le comportement des parents et de l’environnement est déterminante dans les survivances des émotions négatives dont les principales retrouvées sont :

  • L’absence de réassurance lors de manifestations d’effrois nocturnes.
  • La surprotection, tutelle excessive mettant l’accent sur le danger généralisé hors la maison.
  • L’autoritarisme parental et son expression agressive.
  • La labilité émotionnelle de la famille
  • L’anxiété excessive de la mère et sa transmission.
  • Les conflits familiaux et leurs lots de violence.

Les blessures importantes injustifiées, et inexpliquées, telles le rejet, l’abandon, la trahison sont sources d’imprégnation des peurs. Elles distillent le doute de soi apparent dans la recherche d’approbation mais aussi un comportement défensif dissimulé dans le besoin de toujours avoir raison. Le mensonge secrète la peur de ne pas être aimé, de ne pas être respecté ou d’être pris en défaut. Il autorise à ne pas montrer sa vulnérabilité et surtout sa peur de l’autorité. Ce ne sont là que quelques exemples les plus courants que l’on détecte chez les personnes.

Que disent de vous vos peurs ? Quand la phobie du chat met dans l’incapacité d’avancer, le sujet se fige. Ce qui se donne à comprendre est un manque de courage face à une situation donnée. Le sujet se trouve en difficulté parce qu’il risque de déplaire aux autres. Il attend de son entourage une reconnaissance doublée de sympathie. La peur de se tromper empêche de prendre des risques, d’aller vers le non connu, par crainte du jugement d’autrui. On devrait savoir que quoi que l’on fasse, une critique négative peut être formulée sous forme de jugement. La question à se poser et elle est cruciale c’est que vous empêche de faire cette peur, et quel bénéfice pourrez-vous en tirer en la traitant jusqu’à disparition complète puisqu’elle n’est pas fondée ? Selon sa caractéristique, elle dévoile le vécu d’enfance, rendant lisible pour le thérapeute le cheminement d’une vie.

Par le biais d’une manifestation d’un soucougnan, être surnaturel terrifiant, un homme raconte son calvaire de plusieurs années. Il vit seul depuis la mort de sa compagne. Personne autre que lui n’a perçu le phénomène, il est terré dans une grande solitude. Chaque soir dès l’arrivée des ténèbres, la bête fait du bruit sur son toit, elle repart avec les premières lueurs du matin. A l’exploration il apparaît que des relations conflictuelles avec le voisinage, sa parentèle émaillent sa vie. La jalousie, la méchanceté reviennent dans sa plainte comme un leitmotiv incessant. La remontée du temps ramène à la conscience un rejet maternel incompréhensible qui l’a jeté hors la maison très tôt. La peur d’être en proie à une attaque surnaturelle est la cristallisation d’une souffrance d’un enfant en absence dans le désir de sa mère. Elle s’est localisée dans la croyance, mais reste du domaine du dicible de l’invisible, mais entendu donc présente, soutenue par la peur du noir qui renvoie à des pulsions de cruauté, de honte, de rivalités.

Le soucougnan est la représentation du vampire capable de vider entièrement de son sang l’humain ou le bovin. Le sang est l’élément premier de la filiation, en extraire la totalité correspond à gommer la place dans la généalogie et dans le phylum familial. La parole adressée à l’enfant turbulent : « je te mordrai le cou et sucerai ton sang » est une menace de destitution maternelle. La filiation ici est d’abord une filiation à la mère. Ainsi la croyance magique fournit une explication par le biais de la culture, de la défection inacceptable d’une génitrice jusqu’à l’effroi. Hanté par le mal subi qui le terrifie encore malgré l’avancée en âge. Le diagnostic d’une pathologie mentale aux troubles paranoïdes ne pourrait que s’inscrire ici en faux. La connaissance de l’âme est facilitatrice de la prise en charge du sujet.

Faire face à la peur dépend de la personnalité de chacun. Certains y arrivent plus aisément que d’autres. Il est indispensable de la réévaluer de manière subjective en se faisant aider. La remplacer par des émotions positives demeure un moyen de l’apprivoiser. Elle autorise à prendre conscience de l’inavouable qui est si difficile à admettre et à gérer. Derrière chaque peur se cache un désir non manifesté.

A la recherche de la peur

Aimer se faire peur s’aperçoit dans les conduites à risque qui secrète de la dopamine, l’hormone du plaisir immédiat. Dans la peur, l’instinct de survie active la montée d’adrénaline qui procure une sensation forte tout en incitant à se mettre à l’abri. Le plaisir nourrit une exaltation contradictoire, ayant pour base excitation et crainte dans la confusion des émotions que l’on retrouve dans les conduites ordaliques des adolescents : le dépassement des limites, la transgression de l’interdit et le soulagement d’avoir échappé à la mort.

Être confronté à un faux danger procure un sentiment agréable immédiat et dans un second temps une réassurance. L’impression d’être le gestionnaire de ses émotions implique qu’on la convoque pour mieux la conjurer en regardant les films d’horreur par exemple, on ne la subit pas. Le corps en éveil réagit, il est pris de tressaillements, (les yeux reflètent la frayeur, le rythme de la respiration s’accélère), il adhère à ce qui est montré et parlé, tout en jugulant la débandade des émotions. Ce garçonnet de six ans regardait chaque jour sa série « chair de poule » en s’asseyant de biais offrant un seul œil à l’écran télé comme si les deux yeux fixés sur les scènes le feraient chavirer de peur. Demi-peur n’est pas peur entière croyait-il.

La peur fait partie de l’inconscient collectif. Tout humain a ses peurs, elles apprennent à devenir soi-même, à se faire face. Elles sont le reflet inconscient de la peur de mourir ou de vivre.

 

Fait à Saint-Claude le 17 février 2023

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut