De la provocation à la dérive

La méthode très connue utilisée pour conserver le pouvoir sur l’humain où sur un groupe d’humains quand la manipulation est inopérante, est celle de l’exaspération jusqu’à l’éclatement de la violence. La survenue de la répression justifie le rétablissement de l’ordre dans une démocratie où la révolte n’est pas tolérable.

Quel est le processus qui a ici été adopté ?

L’évocation d’une possible réintégration des soignants a donné lieu à des polémiques renvoyant dos à dos le Conseil scientifique et la classe politique. Les partis politiques contraires ont fait des propositions reprises et abandonnées pour cause de mimétisme, chacun voulant revendiquer la paternité d’idées inédites et novatrices que le prix Nobel de la pensée couronnerait. Lueur d’espoir, date butoir, on a soufflé le chaud et le froid en permanence, donnant un socle à l’instabilité de cette gravissime situation. Après l’affirmation d’une dangerosité du non vacciné au chevet du malade, par crainte de la contamination, l’assertion a été éventée : les indispensables soignants vaccinés atteints de COVID étant autorisés à occuper leur poste du moment qu’ils utilisaient le masque. Mensonge et hypocrisie, n’avaient plus de limites. Faisant suite au risque de la rencontre avec l’humain, il fallait en surajouter. C’est l’hôpital tout entier qui était en danger : murs, sols, matériels médicaux, enfin l’air même risquait d’être saturé par le souffle des non vaccinés.

La dénonciation, comme une nouveauté, de l’état de délabrement sanitaire de la Guadeloupe n’a jamais mentionné dans les causes, celle de la suspension du personnel hospitalier. Les manques sont endémiques, les solutions ne sont que replâtrage éphémère (médecins en poste en France ne venant que pour quelques mois à la rescousse des praticiens hospitaliers, les appels d’offres ne générant aucune bousculade ni file d’attente malgré le salaire conséquent proposé.) Le constat d’une aggravation de la pénurie n’a créé aucun affolement combien même est évoquée la menace de la 9e vague. Seule la publicité incite à prendre le vaccin et ses rappels parce que la protection diminue avec le temps. Pourquoi l’immunité diminue-t-elle ? Aucune explication. Combien de doses faudra-t-il pour la maintenir à un niveau optimal ? Pas de réponse scientifique. Le lakou santé et ses experts, en guise de prévention continuent à prodiguer des conseils, à instruire sur les plantes regorgeant de vertus. Prévenir, c’est être attentif aux signes avant-coureurs d’une contamination, maitriser l’alimentaire qui flirte avec hypertension et le diabète, enfin prendre soin de soi, est un savoir dispensé gratuitement sur le Bik du CHU. Une médecine populaire à travers l’éducation pour la santé est en train de voir le jour sans dire son nom.

La résistance qui ne faiblit pas exaspère. Personne à genoux, tous debout droit, battant le pavé, tenant meetings et conférences de presse, alimentant les réseaux sociaux de leur vécu quotidien, ils se moquent de la gouvernance et de ses volte-face continues. Les résistants de temps à autre, occupent les lieux publics stratégiques sans violence afin de rappeler leur existence et les conditions dans lesquels ils survivent depuis plus de 15 mois. Chaltounés en main, un nombre impressionnant de personnes avançant dans une marche au flambeau est venu rappeler aux promeneurs et aux touristes à occasion des réjouissances de la Route du Rhum, sur l’esplanade du mémorial acte, que des problèmes majeurs persistaient sur l’île. Après les prises de parole, le groupe est reparti dans le calme, la police ayant eu l’intelligence de ne pas créer la pagaille en donnant l’assaut.

Les déclarations successives et indignées de groupes politiques ont fini par convaincre les autres d’examiner une fois encore la situation des soignants sans travail et sans salaire. La réponse est tombée comme un couperet venant de l’académie nationale de médecine qui affirme que réintégrer les soignants non vaccinés contre le COVID 19 reste une mauvaise option. Alors les résistants ont bloqué l’entrée du CHU le 14 décembre, laissant passer uniquement les urgences. Les forces de l’ordre ont dégagé le passage. Partout en cette période une trêve de Noël est négociée, même dans les pays en guerre. Reste l’avis de la Haute autorité de santé qui pourrait contrebalancer la décision d’une instance qui n’a jamais accepté le refus d’obtempérer d’un groupe revendiquant son libre choix. L’académie nationale de santé a toujours rejeté toute demande et requête allant dans le sens de la réintégration. Elle persiste à écrire dans un communiqué des suggestions en direction des réfractaires dont une très remarquée : celle de les convaincre de prendre le vaccin. Peut-on comprendre que faire semblant de vivre ensemble dans le même monde n’a pas valeur de vérité malgré les alliances qui en alimentent les fondements. Il n’y a pas un monde unique, un même monde n’existe pas. Le croire relève du fantasme. On peut passer des pactes afin de vivre au mieux selon les représentations de chaque groupement humain, créer des conventions permettant aux émotions d’être agies et croire que tous emploient un langage commun.

La construction de cette homogénéité s’écroule à l’occasion parce qu’elle est illusoire. « Il ne suffit pas de stabiliser l’âme ou l’esprit des peuples dans une fantasmagorie nationale ou un récit fondateur pour éviter le retour des mécanismes pulsionnels : amour, haine, rejet ». Le refus de l’obligation vaccinale traverse aussi ce champ-là. Une récente étude affirme que seul 21% des personnes de plus de 65 ans ont un schéma vaccinal complet en France. Et pourtant la provocation envers les non vaccinés a donné lieu à des menaces, des insultes en haut lieu (les emmerder), à des suggestions barbares (ne pas leur rembourser les soins, ne pas les hospitaliser), à les ostraciser (pas d’accès au restaurant, au sport, au voyage en avion, aux loisirs) à les discriminer comme des pestiférés (file d’attente à l’embarquement plus longue.) jusqu’à ce que la loi d’urgence sanitaire vienne y mettre un terme. L’humanité totalisante des non-vaccinés est à réparer.

Lors des manifestations contre tous les maux qui accablent la population, dont l’obligation vaccinale des personnels hospitaliers, des barrages avaient été érigé, certaines personnes arrêtées et incarcérées. Durant l’interrogatoire de l’un d’eux, il y a eu une prise à partie entre les représentants de la loi et l’avocate chargée de la défense. Les mots « Vous n’êtes rien », ont été prononcé à son encontre, son sac tiré et arraché, affirme-t-elle, parce qu’elle a voulu suggérer à son client de ne pas répondre à une question. Elle a dû sortir de l’enceinte du lieu de l’interrogatoire. Plaintes des deux parties ont été déposées, ses confrères avocats dans un mouvement de soutien ont cessé le travail et se sont rassemblés devant les deux tribunaux du pays. La ligue des droits de l’homme s’est indignée. Seuls les résultats de l’enquête pourront clarifier et exposer les faits réels clame t’on en haut lieu.

Ce qui retient l’attention ce sont les mots prononcés, compris ou interprétés, qu’importe, ce qui a été entendu c’est : « vous n’êtes rien ». Ainsi, une avocate dans l’exercice de sa fonction reçoit l’insulte de la négation de sa profession autant que la négation de sa propre personne, elle qui est habilitée à accompagner, à conseiller, à sauver la tête de son client qui lui a accordé toute sa confiance. Nier son rôle c’est l’insérer dans un cadre hors la loi, l’affecter à une place de personnage fictif toléré par ceux qui interrogent, une espèce de connivence non inscrite dans le droit. Donc une tolérance, un bon vouloir. Ainsi on peut lui rappeler qu’elle n’a rien à faire en ce lieu et que ses interventions ne sont pas acceptables. Elle doit se taire. Un ordre non formulé par ceux qui croient détenir le pouvoir, l’autorité et la loi. Le voilà qui resurgit le pouvoir, lui qui n’est jamais tout à fait dissimulé chez ceux qui l’accaparent, le font savoir par les actes officialisés combien même il s’ancrerait dans le domaine de la dérive. Vous n’êtes rien inscrit la défenderesse dans une non-légitimité tout en lui rappelant une supériorité non seulement légale mais aussi intellectuelle de ses invectiveurs.

La hiérarchisation imaginaire trace une ligne de démarcation entre elle et les autres. D’une manière générale les personnes qui sont investies par leur profession dans le contrôle de l’autre, se placent très souvent en position de toute-puissance. Cela se vérifie dans les trains de banlieues où des gens en uniformes, corps en avant, roulant des mécaniques, scrutent les voyageurs, tapant la banquette avec leur bâton en intimant à celui qui a le pied posé sur le siège devant lui de l’enlever par un « vos pieds » irrité. Cela pourrait être dit autrement. La toute puissance est un fantasme d’omnipotence qui se situe dans le registre de l’imaginaire, elle correspond souvent à la peur du plus fort et du plus influent. Se sentir dépossédé de ses fonctions confronte le supposé dominant à son impuissance, ce qui est inaccepté. Alors il aura tendance à invalider toute autre perception et à prétendre que la sienne ne relève pas d’une interprétation mais qu’elle est la vérité et qu’il n’y a aucun doute là-dessus. L’intervention de l’autre risque de mettre en évidence une faille qui viendrait déstabiliser ou annuler sa toute-puissance. Dans cette spirale négative tout devient menace, danger et donc à éliminer. La demande de l’avocate à son client de ne point répondre aux questions a été le déclencheur de cette mise hors de l’aire de son contrôle omnipotent, puisqu’elle interroge sa pratique, elle remet en cause son fonctionnement usuel. La critique n’est pas recevable. Gommer la reconnaissance d’un savoir, c’est essayer de suturer des manques, des frustrations et des blessures d’expériences antérieures. Il aurait fallu qu’il accepte de n’être pas tout sans pour autant n’être rien.

S’agissant de l’approche du corps de l’avocate bousculée vers la sortie, évacuée en quelque sorte, l’interaction aurait-elle été identique s’il s’était agi d’un ténor du barreau ? Que peut-on penser du corps à corps décrit avec forces détails ?

Comprendre ce qui s’est passé est très important en cette période où les agressions depuis plus de 15 mois sont incessantes au point que la violence semble être retournée contre soi à l’analyse des accidents mortels et répétés, des passages à l’acte suicidaires, des tentatives d’autolyse de plus en plus nombreuses. Ne pas aggraver les situations de tension, mais temporiser, essayer de faire en sorte qu’un retour à l’apaisement puisse être envisager est indispensable. Renoncer à la provocation et à la dérive, c’est peut-être trop demander à la déraison qui semble s’inviter à toutes les occasions où les négociations pourraient aboutir à des accords pérennes.

Fait à Saint-Claude le 18 décembre 2022

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