La peur

La peur fait partie des émotions fondamentales qui sont des réactions à un évènement extérieur réel ou imaginaire. Elle peut être étudiée sous deux angles, parce qu’elle appartient à deux traditions différentes : celle de la philosophie, celle de la biologie. Le philosophe s’intéresse à sa nature, sa relation avec les autres ressorts de la vie affective que sont les passions et les sentiments. Le biologiste s’intéresse aux modifications comportementales et physiologiques qui prennent place chez les individus placés dans certaines situations.

La peur emprunte deux formes : la peur individuelle et la peur collective. La peur individuelle peut porter sur un objet réel, précis, visible, conscience d’une réalité tangible : la peur du gendarme, de l’étranger. Elle s’étale aussi dans une multiplicité de ressenti, la peur de Dieu qui donne sens à la vie qui dès lors ne craint plus le mystère de l’existence, celle de la sorcellerie parce que cette dernière a un rapport avec une possibilité d’action sur la réalité qui sera toujours en défaut. L’angoisse n’est pas la peur puisqu’elle est faite d’inquiétude et de crainte sans objet déterminé. La peur pathologique logée dans l’inconscient devient phobie.

La peur a une origine, elle participe à une inculcation d’habitudes sociales bien définies. L’éducation exerce une pression sur un vécu individuel, barrières dressées d’interdits et de contraintes afin d’être conforme à une image idéale La surprotection, l’environnement perturbant (violences familiales, alcoolisme parental), les traumas du passé, la transmission, en sont les causes fondatrices. Combien même la peur serait universelle, elle ne s’exprime pas de la même manière selon les individus. La personnalité, les expériences antérieures, le vécu sont des facteurs inégalitaires susceptibles d’induire des comportements différenciés.

La peur collective est partagée par un groupe ou par toute une société. Elle naît spontanément face à un danger réel et demande des actions objectives pour la traiter. La rationalisation face à des évènements difficiles à cerner est une tentative pour l’endiguer. S’installe un sentiment d’insécurité dont les causes majeures sont l’emploi, le logement, la délinquance et la santé. Il n’y a pas de passage de la peur individuelle à la peur collective. La peur collective est d’emblée collective. Souvent un bouc émissaire est désigné comme support à l’évènement. Par exemple le sida a été présenté en première instance comme une maladie de groupe associée aux homosexuels. La stigmatisation a eu un effet boomerang de contestation autorisant les gays à revendiquer au grand jour un statut, une reconnaissance.

Comment fonctionne la peur ?

L’évidence d’un danger déclenche des réactions physiques immédiates (accélération du rythme cardiaque, sueurs, contraction des muscles, montée d’adrénaline.) Une alternative s’impose à la conscience : la fuite ou l’affrontement. En première instance l’état de sidération immobilise : le sujet ne sait pas quoi faire, puis la prise de décision oriente son choix. Cette attitude est orchestrée par le cerveau que les neurosciences décrivent comme déterminant dans le processus de la peur. La peur a des répercussions plus ou moins graves observées dans les troubles du sommeil, les ruminations obsessionnelles, l’altération de l’humeur, la tendance à l’hypocondrie (crainte d’avoir une maladie grave), les attaques de panique. De plus elle peut être déclenchée par un stimulus auditif, visuel ou olfactif ou réactivée par un indice enregistré dans la mémoire. Elle a de multiples origines dont les plus marquantes sont les expériences traumatisantes et l’éducation trop menaçante ou hyper protectrice.

La construction de la peur

Hormis son émergence actuelle ou immédiate, une autre forme, plus insidieuse s’installe quand survient une situation insécure : sociale ou sanitaire. Construite par des formulations qui frappent l’imaginaire, les mots sèment la frayeur dans un public désemparé, dépassé, résultat de l’état de doute et d’incertitude que suscitent la nouveauté l’étrangeté de la situation. Nous sommes en guerre ! a dit le Président de la République annonçant le plan d’urgence sanitaire mis en place lors du constat de la pandémie de coronavirus. L’ennemi à combattre est réel et invisible ce qui contribue à forger des sentiments d’impuissance. Impuissance face aux restrictions sanitaires qui renforcent un état d’esprit victimaire s’agissant de la crise économique et financière.

Malgré les mesures d’accompagnement gouvernementales de la crise, les effets résiduels de la peur sur le pessimisme est réactivée par la menace d’un re-confinement. La culpabilité implique la responsabilité de chacun. Si le virus poursuit sa course touchant toutes les catégories d’âge, c’est que les règles sanitaires édictées ne sont pas respectées. L’opprobre est jeté sur la population (la notion de bouc émissaire), occultant l’absence de prise en charge efficace des dirigeants, et surtout la méconnaissance de ce virus de la part de scientifiques de tous bords. En période d’insécurité, quand le savoir scientifique ne fournit pas de réponses rassurantes, ou s’avère porteur d’incertitudes ou de menaces, toutes les ressources interprétatives offertes par les systèmes de représentations et de croyances vont être au premier plan.

Le rôle des médias est important parce qu’il favorise l’émergence des peurs par le registre émotionnel qu’ils utilisent pour diffuser l’information et relayer les données scientifiques et par la forme qu’ils donnent aux inquiétudes sociales. Ils contribuent à créer une culture de la peur qu’actionne le complotisme donnant à la peur plus d’emprise :’ On parle plus des peurs qu’elles n’existent réellement ». La rumeur prise comme vérité scientifique joue avec la peur de la peur. Vrai ou faux, fake new, intox, l’ère donne corps à d’autres spécialistes du registre sanitaire qui sortent de l’ombre, parés de l’habit de lumière du savoir que l’individu approuve car l’hésitation de ceux qui ont leurs assises à la radio et à la télévision disent tout et le contraire de tout. Culpabilité, menaces, la peur collective, étoffe la suspicion de fabrication des données dans la sélection et l’omission des informations, la distorsion des statistiques, la transformation des actes individuels en tendances généralisées. Certains affirment que ces techniques sont utilisées pour éveiller des inquiétudes sans fondement et détourner les citoyens des problèmes sociaux réels. 

Comment savoir s’il y a réellement manipulation de la peur ? Le seul constat c’est l’évidence des discours exploitant cette peur : l’égrenage du taux de contamination, le nombre de décès, la vitesse de propagation du virus, quotidiennement, sans répit, sans laisser le temps à l’espoir de croire en des jours sans catastrophisme, et la difficulté de se projeter dans l’avenir surtout chez les étudiants. Une embellie en Guadeloupe depuis peu, ces données ne sont diffusées que le mercredi. L’ennemi guette, il est au coin de la rue. L’attention fixée sur le danger augmente les conduites ordaliques chez le plus jeunes, diminue la capacité de traiter valablement l’information chez les sceptiques, accroît l’absence de confiance en un gouvernement dont les balbutiements restent du domaine de l’incompréhension. Confinés dehors : le troisième confinement en France est mal perçu, mal accepté parce que jugé inopérant.

L’augmentation de la peur

Le rôle de l’Etat en matière de gestion de la peur est de trouver des palliatifs aux risques pour la santé. La protection contre les épidémies virales consiste en l’organisation de vaccination pour tous. La promesse de ces vaccins porteurs de tous les espoirs a suscité un profond étonnement. Au départ la population attendait de voir si l’annonce était suivie d’effet tout en émettant quelques réticences sur la réelle efficacité d’un vaccin vu la rapidité de sa date de parution. Depuis la découverte du virus du sida, aucun espoir vaccinal n’était venu sécuriser l’attente.

Enfin sont arrivés les deux les plus usités contre le covid 19. Les hésitations face à une réalité se sont modifiées un peu, un petit peu. Les personnes âgées, en EHPAD en ont bénéficié en premier parce qu’elles avaient payé un lourd tribut en France à cette pandémie, alors que nos ainés en EHPAD et à domicile en Guadeloupe en avaient été épargné : secret dont nous n’avons pas encore percé le mystère. Puis ce chantage affectif, publicité médiatique à l’appui, la rencontre avec les petits enfants, a consolidé leur détermination d’accepter d’être protégé. Car il s’agit de cela : le vaccin devait amoindrir la force de l’attaque virale et protéger le système de défense immunitaire. Deux doses à trois semaines d’intervalle sont nécessaires à la tranquillité complète de l’esprit. Les files d’attente, âge étalé, en région parisienne ont décidé d’ouvrir, de mettre en place des espaces plus grand d’accueil, de désigner différents intervenants pour prêter main forte aux médecins et aux autres soignants surtout quand le manque de doses, la pénurie quoi, avait ancré dans les esprits une répartition et un choix des bénéficiaires : les personnalités offraient vaillamment le haut musclé du bras à l’aiguille face à la caméra.

Qui dit manque dit précipitation, peur de ne pas avoir, sentiment d’abandon par la mère primordiale. Les affects sont tapis dans l’inconscient et resurgissent lors de déclencheur tel celui- là. Le refus des pays nordique, puis de l’Allemagne, pour cause d’effets secondaires a asséné une massue de taille sur l’espérance. La France a demandé un avis scientifique de deux jours. Avis favorable : on peut continuer l’utilisation sans crainte, fiabilité assurée de l’Astrazenneca. La tourmente a rejoint la peur à peine estompée. Le doute, l’impression d’être des cas cliniques, des cobayes en quelque sorte, ont ramené à la mémoire les mauvaises intentions des gouvernants préoccupés par leur devenir. La Guadeloupe se pare de scepticisme malgré la fenêtre ouverte sur l’âge. Pas de queues interminables, preuves d’état-civil en mains, les rimèd razié et le virapic deviennent les garants de la survie, d’autant plus que la maladie est estompée au profit du désastre économique. Une version de la gestion de la peur.

La croyance envers ces vaccins censés porter amélioration à la détresse engendrée par la mort comme seule perspective, a permis d’accepter confinement, re confinement, couvre-feu, et autres restrictions. La troisième vague et l’augmentation des personnes en réanimation, de plus en plus contaminées, de plus en plus jeunes, en dépit de la vaccination élargie aux pharmacies, aux cabinets médicaux, aux hôpitaux en plus des centres dédiés, cimente l’incrédulité et le refus d’obéissance à rester confiné mais surtout la méfiance envers ces vaccins qui ne semble rien améliorer. Au tour des vaccins Pfizer et Janssen de tomber en disgrâce. Une possible troisième dose est envisageable après l’élargissement de la date de la réception de la deuxième dose. Le vaccin devra, peut-être être administré chaque année. De façon graduelle les annonces se heurtent à l’incompréhension du grand public. L’effroi s’insinue dans le quotidien, la désolation aussi. La bataille serait-elle perdue ? L’ennemi défie toutes les parades. Il paraît invincible. Mutant à l’appellation d’origines diverses, il profite de la concurrence de fiabilité, à la course de la valeur ajoutée, à l’ego des pays producteurs et à la montée de la confusion. La guerre des vaccins est en marche.

La gestion de la peur

Comment gérer cette évidence de l’incertain qui ne s’apparente à aucune forme connue jusqu’ici de peur ? Cette pandémie est la première d’une telle ampleur. Le danger du terrorisme s’est estompé à partir du moment où les gouvernants ont mis en place des moyens de protection. Dans le cas du covid 19 la promesse de la vaccination se cantonne à sa seule définition de promesse vu l’augmentation des décès et la hausse de la contamination. Il appartient dès lors à chacun de prendre en charge ses émotions.

  • D’abord identifier sa peur. De quoi a-t-on peur ? De la maladie (crainte pour sa santé) ou de la mort ? Se poser la question de la mort c’est aborder un paradoxe né du désir de préserver sa vie et de la certitude de l’inéluctabilité de sa fin. Certaines personnes font le choix entre l’adhésion à un système de croyances type mystique ou religieux, ou le refuge dans la soumission à l’autorité. Puis après l’avoir nommé,
  • Être à son écoute, c’est l’admettre ; ce qui la rend plus gérable. L’information aide à jeter les barrières de l’inconnu, de l’effrayant, elle établit une proximité qui conduit à la diminuer
  • Remplacer l’incertitude par des projets d’avenir avant de vouloir l’oublier, chose très improbable, mais réfléchir aux moyens de savoir vivre avec. Par exemple le danger atomique a été estompé au profit des risques climatiques. Ce processus d’effacement de la peur se meut en négation, dont la fonction est de refouler l’inquiétude. L’espoir orienté vers l’avenir fondé par des valeurs et servi par la réflexion peut l’amenuiser à défaut d’en avoir raison.
  • Dédramatiser la frayeur en se fixant des objectifs, c’est aussi mettre de la distance entre soi et elle
  • Partager son ressenti avec ses environnements bienveillants aide à trouver les moyens de l’intégrer dans la pensée. Entendre les autres exprimer des craintes, des doutes identiques aux siens conforte dans les représentations communes de l’existence des émotions et de leur contrôle et celui du travail cognitif dans la maitrise de situations qui le produisent. L’échange social joue un rôle important à ce niveau.
    • Mettre des pensées positives à la place des ruminations, consiste à désobéir à la peur et essayer de redevenir le héros de sa propre histoire, car l’émotion est une information qui vient de l’inconscient, mais c’est surtout une messagère de l’état psychique, ce qui revient à dire que l’émotion crée des limites faisant en sorte de se sentir en confiance. L’instauration de la zone de confort est un piège qu’il faut éviter car il est difficile d’en sortir. Intervient le courage du dépassement de la confiance instituée.

Depuis quelques années le sentiment d’insécurité est devenu dominant. Il faut le prendre au sérieux parce qu’il dévoile l’état psychique de la société. Néanmoins, l’insécurité n’équivaut pas à une absence de protection. Mais à quoi équivaut son grand besoin ? L’impression d’une fragilité malgré ces règles sanitaires demeure et le sentiment que l’avenir sera encore plus difficile a envahi l’imaginaire. Mais aussi parce que certains risques ont été maîtrisés, les personnes deviennent plus exigeantes en voulant une sécurité totale.

Le sentiment d’insécurité est une construction historique, et dépend des risques existant à un moment donné dans une société et de la capacité des membres de cette société à se protéger ou non contre ces risques.

Fait à Saint-Claude le 17 avril 2021

 

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Un commentaire pour “La peur

  1. Merci pour cette analyse détaillée et minutieuse de la peur dans le contexte sanitaire spécifique que nous traversons.
    Mettre des mots scientifiques et adaptés à ce que nous vivons, nous aide à métaboliser les situations que nous traversons.

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