Publié dans Le Progrès social n°2571 du 15/07/2006
L’humain, dans toutes les sociétés, a toujours demandé au divin de le soulager de ses tourments physiques et psychiques en ayant recours aux pratiques divinatoires et magiques, basées sur des rites, des croyances.
La souffrance et la maladie ne peuvent être perçues comme éléments rationnels, techniques et scientifiques, quand, depuis l’enfance le merveilleux imprègne l’imaginaire. L’existence de canaux de communication entre le monde des morts et le monde des vivants, l’intervention divine (la malédiction), le giyon (malédiction aggravée), les relations conflictuelles, conduisent à une perception particulière de « l’être au monde » qui permettent de désigner autrui comme responsable des maux. Ici la sorcellerie est un système explicatif à l’échec, au mal-être, elle est l’envers de la magie dont l’homme attend la disparition de ses conflits réels ou supposés avec comme finalité le bonheur et la satisfaction de ses désirs. La magie s’oriente vers deux pôles : la magie blanche dite de main droite, curative et préventive, la magie noire dite de main gauche, offensive et destructrice, la sorcellerie. Le praticien de la magie est le gadé-zafé dénommé séancier ou menti-menteu qui se charge de soulager les maux que le sorcier a provoqué à la demande d’un client. Le gadé-zafé peut occasionnellement être sorcier quand surgit la nécessité de maintenir un primat pour affirmer les bases de son pouvoir. Le choc en retour( renvoi de l’acte de sorcellerie à l’agresseur) fait que sa double fonction se fonde sur un schéma secondaire, non contradictoire qui rejoint la motivation du consultant. Il n’est pas perçu comme vecteur maléfique dans l’intention de cette opération précise qui est une forme de l’exigence nécessaire de la raison. L’agressé est dans son bon droit, sa conscience ne se trouve aucunement entachée par l’idée d’une mauvaise action dans sa tentative de recherche de satisfaction. Le sorcier aussi témoigne d’un comportement bienveillant quand il délivre les consultants de l’emprise des esprits infernaux. Magie et sorcellerie sont inextricablement liées à une réalité invisible, action présente des forces et des puissances mystérieuses. La collectivité octroie à chaque impétrant un statut et une fonction dont les référents et les visées sont différents : c’est la rumeur populaire qui désigne le sorcier.
La magie possède ses lieux où les gadé-zafé et les sorciers manipulent certains matériaux dans le but de détruire ou de réconforter l’un des membres de la communauté.
- L’église ou la chapelle, haut lieu d’élection du magico religieux, dont l’autel sert parfois de support à une mise en scène circonstanciée, contribue à une manipulation des forces occultes. Les pèlerinages ( passage dans plusieurs église), l’utilisation des objets cultuels ( bougies à demi consumées, eau bénite, hostie, argent de la quête), la demande de messe au Saint-Esprit, sont des démarches au principe d’une coalescence entre les catholiques pratiquants et la chose magique contraire à l’esprit de la bible : « Tu ne laisseras pas vivre la magicienne (Exode 22,18. )»
- Les carrefours, croisées de trois et de quatre chemins, ont une réputation d’ensorcellement qui oblige les humains à les contourner les nuits sans lune. Y sont déposés les poules noires mortes ou vivantes, les crapauds, les balais cassés, à moins qu’un couvert dressé n’arrête le pied du passant.
- Les cimetières où les sorciers concluent un pacte avec le diable. Dans le sol sont enfouis des fioles contenant le nom de victimes accompagné des dates de naissance, signifiant une mise à mort. Les matériaux hétéroclites sont à peine dissimulés : paquets de feuillage ficelés, chaussures, couteaux lames pointées vers le ciel, bouteilles à goulot dépassant de terre, fleurs éparpillées, bougies blanches disposées en forme de croix. Ce lieu est marqué et culturellement prisonnier d’une définition maléfique dévastatrice. Ses cailloux, les clous des cercueils, les fleurs, sa terre elle-même parsemée devant la maison prélude à l’éclatement de conflits familiaux ou de voisinage.
- Le pas de porte reçoit les animaux envoyés, les herbacées, la viande en décomposition ; ils sont là pour semer le trouble et la zizanie suscitant les écueils, les échecs et la maladie. Le pas de porte se travaille d’une autre manière qui consolide la protection et la réussite. Contrôle des entrées et des sorties, une fiole d’un autre type maintient un époux par trop volage à l’intérieur du foyer.
- La mer et l’embouchure donnent toute sa dimension aux rites de purification. Recommandés pour les bains de chance et de délivrance, ils lavent des influences maléfiques en donnant la force d’affronter de nouvelles épreuves. Sorti de l’eau, le consultant ne doit plus regarder en arrière.
Les causes de la consultation magique sont uniques ou couplées avec deux dominantes : le conflit amoureux et la maladie. L’échec professionnel, le phénomène de hantise des maisons, les envoûtements, les désordres familiaux, la crainte de l’avenir viennent au second plan. La maladie est mentionnée comme une défaillance physique mais à la frontière de la pathologie du corps et de la pathologie de l’imaginaire. Symptômes propres à escamoter la difficulté d’être à des moments les plus sombres, inexplicables, les troubles ( difficultés respiratoires, lombalgies, céphalées, diarrhées) surgissent à l’époque des conflits sans que les sujets les mettent en relation. Les traitements médicaux restent inefficaces, justifiant la consultation magique. La magie maléfique a ses règles, elle est l’œuvre unique des membres du groupe d’appartenance, son action n’est efficace qu’à partir de critères subjectifs tels la puissance du sorcier, la jalousie et la méchanceté de l’agresseur. C’est un réseau de communication établi à l’intérieur d’une société, qui ne circule qu’entre ses participants, pareil à une affaire de famille où les autres n’auraient pas droit de regard.
Les femmes consultent plus que les hommes. Elles entreprennent la démarche souvent à l’instar du conjoint. Les fils et les époux s’en remettent à leur décision, de manière tacite, serviteurs d’une intention qui les dépassent. Cela prend allure d’une tâche domestique: elles le font pour elles, pour les enfants, pour la maisonnée. Quand les hommes consultent, ils font figure de grands consommateurs de magie. A quatre heures, avant le lever du soleil, les voitures s’agglutinent en rang d’oignon, les conducteurs restant dissimulé jusqu’à ce qu’arrive leur tour. Point de rendez-vous chez le gadé-zafé établi à la campagne ; par contre les officines en ville, moins discrètes accueillent des personnes d’une catégorie sociale moins élevée. Le rapport coupable à la consultation magique perdure : personne ne reconnaît d’emblée l’utilisation de ce procédé qui, dit-on, est réservé aux ignares. Une femme pour qui la consultation magique était œuvre de médiocrité et de vulgarité, pleine de mépris envers cette démarche envoyait sa servante « regarder les affaires de la patronne. » L’accroissement du taux des consultants est fonction de l’âge ; les plus jeunes consultent moins que les plus âgés. Les femmes et les hommes rendent possible la maîtrise symbolique du fonctionnement pratique de la magie, par une opération tout à fait analogue à celle que réalise la croyance chez ceux qu’elle habite. Elle leur donne les moyens de se référer à des règles, à des recettes magiques, ou bien à s’en remettre aux aléas d’autres techniques, substituant la quasi-systématicité d’un conflit endogène à la systématicité d’un conflit exogène.