Publié dans Le Progrès social, n° 2664 du 01/03/2008
Le rideau ne s’ouvre pas. Les trois coups n’ont pas retenti. A 20 heures précises l’éclairage progressif dévoile une pièce meublée d’un canapé deux places, d’un fauteuil, d’une table recouverte d’une nappe en toile cirée. Les ronflements sonores qui envahissent le théâtre emplissant les oreilles, sortent de la bouche de deux personnages. Une femme affalée sur le canapé, un coussin déposé sur la face comme pour faire écran à la lumière du jour, un homme couché sur une couverture à même le sol. Ils dorment dans un bruit de locomotive sorti de leurs gorges. L’urgence de l’endormissement a conservé sur le corps l’uniforme de pompier de la femme alors que le fauteuil a reçu le pantalon et la chemise du premier réveillé. En caleçon et tricot de peau son premier geste est d’avaler une rasade de rhum. C’est un jouissif qui à chaque phrase ponctue ses mots d’un coup de « fouq. Les libations de la veille lui ont laissé une énergie intacte.
Durant deux heures quatre acteurs interprètent cette pièce de théâtre écrite par jacques TELL et José COQUERELLE, mise en scène par Philippe CALODAT. L’alcool alimente le quotidien de Charlotte et Hector : les concubins. La première a un emploi : elle éteignait le feu, sauvait les vies, mais son comportement alcoolique lui a valut une mise au placard dans un « fin fond » de bureau, ses vapeurs risquant d’attiser le feu : « une vraie bombe » dit son frère rasta qui loge aussi dans la maison, là où tout se passe. L’intérieur en dit long sur l’origine sociale de cette femme qui conserve son uniforme pendant toute la comédie. Cette tenue lui confère une place, un statut valorisant. L’uniforme correspond à une organisation rigoureuse des corps de métier : l’armée, l’hôpital, l’usine. Aucune fantaisie n’est permise. La hiérarchisation implique une codification des gestes et de la pensée. Le vêtement de travail jamais enlevé est une revendication de respect, un rappel à l’ordre dont elle a perdu la valeur, puisqu’en permanence des bigoudis s’accrochent à ses cheveux, même quand elle va à l’extérieur. Vacillement entre ce qu’elle a été et ce qu’elle est devenue. Femme pathétique dont les slips sont livrés au regard de tous, mis à sécher sur une ligne à linge à l’entrée de la cuisine. La sexualité dans l’impudeur, donne à voir l’absence de contrôle d’un désir gommé par l’enivrement. Boire, abandonner son corps aux assauts d’un ivrogne et dormir en ronflant, bouche ouverte sur le monde embrumé qu’est le sien. Elle se situe à mi-chemin entre la personne de la ville et celle venant de la campagne qui fait cohabiter deux attitudes contradictoires : l’extraversion et la retenue. Elle danse avec Hector exprimant le besoin de dire sa joie d’être possédée par sa frénésie sexuelle, dans un moment de pleine conscience, mais sa bouche aux lèvres closes ne laisse filtrer aucun mot le rassurant sur le lien qui la visse à lui. Elle ressemble à son living-room. Propret, rangé, aux couleurs tamisées des murs portant des affiches de portait d’artistes, mais dont la porte, gardienne des seuils, laisse entrevoir côté rue des grafs faisant plus dessins barbouillés destinés aux maisons abandonnées. Deux visages : un quelque peu socialisé l’autre allant à la dérive. Elle boit sans arrêt : avant de sortir, revient le seuil franchi se jeter un coup de rhum sécurisant derrière le gosier. Le liquide est sur une étagère, à disposition. Nulle porte de placard à ouvrir, nulle clé à cacher et égarée dans l’oubli, nul gaspillage de geste. Les yeux se remplissent d’ivresse totale avant d’endormir le cerveau. Charlotte est une pourvoyeuse de nourriture. Elle entretient Hector et son frère rasta, insolent, gouailleur et un tantinet pervers.
Hector est de la lignée du mâle portant beau le costume, veste et pantalon au couteau impeccable sous le soleil d’ici. Son élégance pourrait l’inscrire dans le fichier des cadres fonctionnaires ou dans celui des hommes d’affaires de haut niveau. Il semble l’anti thèse de Charlotte dans la posture vestimentaire. Sa démarche chaloupée, ponctuée de « coups de fouq » réguliers montre qu’il se vit d’abord comme un attribut sexuel, un dispensateur de plaisir. Il affronte son beau-frère dont il envie la folle liberté : celle de ne pas chercher à s’insérer dans une société qu’il exploite malgré tout. Il sautille comme lui, à la manière des jeunes qui font du sur place par crainte d’avancer à la rencontre d’une réalité angoissante. Il a lors d’un voyage en France été ébloui par Honorine, cousine de Charlotte et une liaison s’est nouée. Seulement voilà, le pot aux roses est découvert par futé rasta qui va l’enfermer dans une situation trouble de complicité, le recelant par rapport à sa sœur, pour mieux démontrer la mesquinerie d’un infidèle profiteur ne serait-ce que d’une communication téléphonique. Poussé dans ses retranchements, il avoue qu’il est « RMISTE » : professionnalisation d’une aide dont bénéficie bon nombre de personne de l’île. Cependant il accuse son beau-frère d’être en quelque sorte un feignant puisqu’il vit de trafic de drogue : dealer et consommateur. A travers les mots des deux hommes, surgissent les images pathétiques du masculin se soumettant au décours d’un destin où l’effort, la volonté d’une vie sociale réglée sont quasi impossibles. Ils sont l’envers des femmes qui peu ou prou construisent un quotidien, insatisfaisant parfois, mais parviennent à survivre par leur propre moyen. La jeunesse semble encore plus démunie que les adultes face à l’ordonnancement de l’avenir : pas de travail, pas de femme, alors que Hector en a deux. Lui qui se trouve dans une pratique parentale aggravée avec préméditation. La force des mots coupe le souffle, elle laisse place à la colère et à la menace. Hector est la représentation d’un individu qui avance à tâtons, ne sachant pas dans quelle direction s’orienter et ce qu’il cherche. A l’aveuglette, il se heurte aux femmes comme n’ayant pas le choix ; de rien. Il n’est qu’un falot au devenir incertain. Il craint l’affrontement avec charlotte, il se cache quand la croyant partie elle revient s’humecter le gosier, lui aussi.
Honorine dans un quiproquo, alors qu’elle répondait au coup de fil d’Hector, tombe sur Charlotte. Elle lui apprend qu’elle est de passage dans l’île. Elles conviennent de se rencontrer. Vite, dans un sursaut d’estime de soi, les slips et la serviette pendus sont rangés. Un magnifique bouquet de fleurs atterrit sur la table aux deux chaises recouverte d’une nappe en toile cirée. Honorine rentre. Une pin-up de classe, corsaire et haut moulant. Boots laissant apercevoir les bas résilles noirs. Une chabine blonde à la manière de Marilyn MONROE. Des gestes doux, une voix mielleuse de séductrice. Elle offre un cadeau de marque à l’hôtesse : un sac à main de chez le Tanneur. Veut-elle soigner sa culpabilité ? D’autant plus que le rasta qui lui ouvre la porte l’agresse d’emblée. Il dit qu’elle a feint de l’ignorer en entrant et refuse après coup son bonjour. Pendant la conversation Charlotte s’endort et Hector profite pour se coller à elle sur le canapé lui proposant des douceurs sexuelles. Honorine se défend doucement et fermement. La proximité de sa cousine endormie la gêne. Elle a une conscience tout de même ! La révélation de sa séropositivité, casse Hector, le plie en deux. Sans préservatif, les actes sexuels à répétition l’ont peut-être contaminé et il risque d’être atteint du sida. Pense t-il à la propagation ?
Deux chirés : sont-ils formés par le couple Charlotte/ Hector, Honorine/Hector, Hector/Rasta ? Les hommes et les femmes sont chirés à cause de leur naïveté, leur inconsistance, leur absence de projet d’avenir. Ils ressemblent tous à des marionnettes dont les besoins se limitent au plaisir du sexe, de l’alcool, de la drogue. Cette comédie est admirablement jouée : les acteurs sont de qualité. De plus elle est le prototype d’un support de prévention. A voir absolument. Le rire est garanti.