Guadeloupe la généreuse

Le 6 septembre 2017, l’ouragan IRMA ravage les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Les dégâts sont considérables : plus d’eau, plus d’électricité, plus de réseau téléphonique. On fait état de 11 morts. Les sinistrés, toutes catégories sociales confondues sont anéantis par le désespoir, le mot n’est pas trop fort. Les premières images submergent d’émotion les habitants de la Guadeloupe.

Le cyclone Hugo (1989) afflue dans les mémoires. De toute part on se mobilise, on bat le rassemblement : « Il faut venir en aide très vite ». Les collectes s’organisent. En priorité l’eau, les vivres, les produits d’hygiène, le lait et la nourriture pour les bébés. Il y a urgence. La Guadeloupe se souvient des difficultés insurmontables du sentiment d’abandon causé par la configuration géographique. L’île est une région aux limites imposées par la mer. Houle et vents persistants réduisent à néant l’indispensable aide. Au sentiment d’abandon s’ajoute la sensation d’impuissance et d’anéantissement. La Guadeloupe évoque Hugo, yeux baignés de larmes contenues, vingt huit ans après. Chacun y va de son souvenir. Alors les îles du Nord touchées par Irma constituent la priorité.

Trois jours après, des femmes et des enfants atterrissent à l’aéroport de Pôle Caraïbes, où une énorme organisation composée de bénévoles, de professionnels, offre un accueil remarquable aux personnes épuisées physiquement et psychiquement. Les blessés ont déjà leurs corps déposés dans des établissements d’hospitalisation : un paradis après l’enfer vécu. Le SAMU est à l’entrée du terminal des croisières, grand hall partagé par plusieurs spécialités. L’espace Croix rouge est composé de plateformes différentes : une tente isolant les consultations médicales, une table où sont disposées les prises pour les recharges des téléphones, tablettes et autres matériels informatiques. Ceux qui ont pu grimper sur l’unique colline de Saint Martin où le réseau connectait les individus, étaient aussi en quête de connexion à leur descente d’avion. Les coins du territoire de la Croix Rouge recevaient des chaussures d’adultes, des chaussures d’enfant alignées par pointures, un regard suffisant à embrasser l’ensemble. Elles semblaient dire : « Nous protégeons vos pieds et vous par la même occasion ». Plus loin, les vêtements d’enfants, colorés autant que les peluches à emporter, sur les lavabos des toilettes, des brosses à dents sous cellophane, du dentifrice, du savon, des couches de bébé en grande quantité et même une mini table à langer, le tout formant un bel ensemble pensé artistement. L’aide sait être aussi décoratif.

Dans le hall, en tout début, se trouve l’accueil médical et sa fonction d’orientation jouxtant la réception de la sous préfecture pour les personnes n’ayant pas de papiers. Plus loin se trouve le site proposant des hébergements provisoires ou non : chez l’habitant dans les centres d’hébergement, abris pour une nuit ou deux qu’il faut renouveler en revenant le lendemain. L’espace gestion des départs vers la Métropole pour ceux qui possèdent déjà un billet avec une date ultérieure, ceux qui peuvent bénéficier de l’avion de la Croix Rouge, ceux qui demandent à partir sans point de chute, sans connaître le pays, sans référent sur place, partir le plus loin possibles du lieu du tourment, est submergé.

L’odeur du chocolat et du café a quelque chose de réconfortant. Les bénévoles de la Croix Rouge servent à boire et à manger, buffet dressé où les enfants s’agglutinent se servant de biscuits et de chocolat fondu, se désaltérant de délices dont ils avaient été privé. A midi les repas chauds sont servis. Un vendredi, l’arôme du colombo de poulet a réconforté les plus déprimés d’autant plus que le féroce d’avocat était une entrée de choix fort appréciée : la nourriture fait fonction d’accueil. Les restaurateurs livrent chaque jour plus de 300 repas en guise de don.

Au fil des jours, les chaises sont supplantées par les lits de camp où la détente des corps amène la somnolence. Quelques draps, une corde tendue, des tapis de sol, les bébés au fond du hall accomplissent leur reptation, soulageant les bras des mères. L’aire où les puéricultrices les occupent rappelle la crèche avec en plus le massage appris aux mamans. Les bienfaits du toucher sont doubles : mise à distance de l’angoisse maternelle dans l’accomplissement d’une tâche et apaisement du corps de bébé. L’anxiété se transmet. Les enfants plus grands peuvent dans une limite donnée jouer à la balle, courir, crier et rire enfin à l’extérieur du hall. Les bénévoles de la Croix Rouge proposent des jeux de société, de l’eau, avec un éternel sourire. Quand le clown fait son entrée, un vrai clown avec un nez rouge, les gémissements se raréfient. La surprise a agrandi les regards. Course poursuite, chatouilles, gloussements : l’atmosphère enfantine s’est allégée.

Pour les grands et les petits ; la cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP), tous départements confondus, de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Métropole, reçoivent la détresse repérée à la descente d’avion. La CUMP se rend partout où la souffrance est exprimée. Elle est à pied d’œuvre à la gare maritime, dans les centres d’hébergement, les hôtels. Si besoin est les centres médico psychologiques doivent prendre le relais. Il y en a dans chaque commune. La priorité de l’évacuation des femmes et des enfants a permis de se rendre compte de l’impact du stress en dépit du jeune âge.

La prise en charge est ici inédite dans la mesure où les besoins sont multiples et le psy intervenant se devant d’accompagner la personne reçue vers les autres instances ; qui médicale, qui sociale, le rendant multifonction. Il a fallu composer, se délester de la méthode apprise, improviser, comprendre la hiérarchie des besoins, interroger en au moins quatre langues (créole, anglais, espagnol, français), sortir ses connaissances de derrière les fagots (pas d’interprète) et permettre d’évacuer le traumatisme.

Une dame d’un âge certain s’est murée dans un profond mutisme, tout le désespoir du monde dans les yeux. Le bon sens a fait passer la main. Quel était son besoin primordial ? Changer son billet d’avion à la date du 30 septembre. Elle réside six mois à Saint martin chaque année. Une fois conduite aux personnes lui donnant l’assurance de faire quelque chose, le second besoin était son médicament quotidien soignant une maladie chronique.

Deuxième accompagnement : un médecin rédige une ordonnance, elle a ses comprimés. Une gorgée d’eau et l’approche psy peut commencer en toute confiance. Elle a été accompagnée du début à la fin, sans être lâchée. Elle avoue avoir pensé se suicider, ne voyant pas d’issue à sa situation. Soulagée, elle remercie, d’autant plus que son mari rentré en Métropole quinze jours plus tôt «  est très dur » et ne comprendrait pas sa tristesse. L’avion de la Croix Rouge l’a pris à son bord le soir même ; c’était son jour de chance.

Arrivent des personnes ne sachant où dormir, sans papiers, sans argent ni carte bancaire avec peu d’effets, d’autres ayant bénéficié d’un abri lors du passage de l’ouragan ont des valises mais sont dans les mêmes conditions de dénuement social. Beaucoup espèrent rentrer en Métropole. Les inégalités sociales sont visibles. Certains ont réservé des gîtes, des hôtels, la location de véhicule leur donne une certaine indépendance. Personne ne les attend. Ils viennent à la CUMP pour faire baisser la pression en étant écouté. Le sentiment prédominant est celui d’abandon. La colère parfois exprimée n’est pas inutile au contraire, elle autorise d’amorcer une juste mesure des faits comme dans le travail de deuil, elle justifie de la recherche d’un responsable, gommant la culpabilité.

Un enfant inconsolable finit par dire qu’il ne peut rester ici sans son lapin bleu : promesse lui est faite de lui en procurer un peut-être pas bleu (prière secrète à la providence). Après la prise en charge où le chagrin s’est étendu au père laissé à Saint-Martin, à sa chambre noyée, à son chat animal réel avec lequel il dormait perdu au dehors, un lapin peluche lui est trouvé dans la montagne de jouet. Prière exaucée : Merci la Providence.

Se présentent tous les cas de figure. Un des plus marquants est celui de trois enfants 10ans et huit ans, non accompagnés, débarquant seuls sans papiers, sans personne référente pour les accueillir, ne sachant où dormir, bouche fermée, sorte d’omerta où il ne faut rien dire. L’ouragan a été parfois le révélateur de dysfonctionnement familial grave. Ruse et détours, le chocolat fondu aidant, le sentiment de double abandon est exprimé. Le recueil péniblement hachuré d’un numéro d’un portable permet d’appeler un parent qui les récupère quelques heures après.

En réalité, la CUMP n’est pas pensé pour les enfants en individuel, alors que le débriefing en groupe dans les écoles ou les municipalités avait parfaitement fonctionné après le séisme de 2004 et le séisme en Haïti en 2010. Quelques réflexions et observations lors de ces prises en charge doivent servir à élaborer un outil novateur en ce sens. Les enfants déplacés ont un deuil à faire, deuil de leur habitation, de leur école, de leurs amis et de leurs animaux familiers. Il serait nécessaire de les accompagner dans la traversée de cette situation de pertes.

Les ouragans José et Katia sont attendus. L’aide est suspendue, les avions restent au sol. La trajectoire des vents est dans l’alignement de Saint Martin. La méteo annonce la bonne nouvelle, José a évité les îles du Nord. Soulagement dans l’éloignement de la double peine.
La Guadeloupe fait démonstration en ces moments difficiles pour Saint-Martin et Saint Barthélemy, d’une générosité immense. Elle s’inscrit dans une dynamique de bénévolat et d’entraide remarquable, véritable preuve d’un grand cœur.

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