Le médecin référent

Publié dans Le Progrès social, n° 2570 du 08/07/2006

Afin de contrôler les dépenses de santé, la Sécurité Sociale a instauré le système du médecin référent. Ce généraliste choisi par l’usager devient le pivot autour duquel toutes les maladies s’expriment et se détectent avant d’être orientées vers les spécialistes dont l’accès est ordonnancé. Seules quelques spécialités ( dentaire, gynécologie, par exemple) ont le privilège de consultations sans intermédiaire à cause de l’évidence de la prise en charge et du minimum d’une visite par an, base d’une nécessaire prévention. La formule du référent généraliste est ancienne, elle avait été reléguée aux oubliettes probablement par une plus grande connaissance des maux due à une vulgarisation scientifique et à un vent de modernité autorisant un dialogue direct avec les praticiens restreints à une discipline. Cependant les maux non visibles ou non soupçonnés ont toujours été décelés par les analyses biologiques prescrites par le médecin qui après interprétation dirigeait vers le soignant approprié. Le médecin de famille, confesseur, détenteur de secrets est devenu caduc dès que les morcellements affectifs ont mis de la distance entre parents et enfants. Le corps malade ne se partage plus, il tend à une indépendance et se vit souffrance individuelle. L’aveu d’une morbidité est une décision personnelle.

La remise au goût du jour du médecin référent comporte une nuance aujourd’hui. Le centre de Sécurité Sociale expédie par courrier les formulaires à remplir désignant le généraliste élu par empathie, et accorde la possibilité d’en changer une fois en cas d’expérience malheureuse ou au jugé de mauvais soins. Le troisième choix subit une pénalité financière. Beaucoup d’usagers n’ont jamais reçu les formulaires et sont soignés comme à l‘accoutumée par celui qui les inscrit dans son fichier informatique, devenant ainsi le référent. L’organisation pratique et la logique suggèrent une proximité kilométrique avec celui qui va prendre soin assez rapidement des troubles. Trente minutes de transport augmentent l’anxiété du mal inconnu, alors que l’attente paradoxalement dans le cabinet médical, même longue, sécurise, l’anticipation du soulagement aidant. Le nombre de généralistes est proportionnel à la superficie de la ville ou de la commune. Certains usagers bénéficient d’un plus large éventail de méthodes et de qualités de soins que d’autres. Cependant rien n’empêche de prendre référent dans la ville voisine de son domicile : la conservation du capital/santé n’autorise pas de négligences.

Généralement les consultations sur rendez-vous s’étalent de la matinée à la pause déjeuner. A partir de 14 heures 30, certains cabinets reçoivent les porteurs de maladies sans appels téléphoniques préalables selon ordre d’arrivée, affirme une voix au débit rapide et saccadé qui appartient à un secrétariat groupé, utilisé en commun par des praticiens, la secrétaire particulière entraînant trop de frais. La conscience professionnelle ne prive pas l’entreprise d’un travailleur que la douleur ne plie pas en deux ; l’heure de sortie, fin d’après-midi conduira l’embarras dans une salle d’attente médicale. Un exemple quelque peu particulier et isolé ( peut-être) mérite d’être cité. A 17heures 30 quatre personnes  attendant leur tour est un fait ordinaire en absence de rendez-vous. Un va et vient anime l’atmosphère : un homme puis une femme entre, ils attrapent une enveloppe dans un casier posé sur une table d’angle, repartent. Quatre, cinq plis cachetés sont ainsi enlevés. Pas de secrétaire ni de toilettes l’espace étant réduit. La porte entrebâillée du cabinet laisse sortir un client ; le médecin derrière lui prend une pancarte cartonnée similaire à celle des professionnels du panier de la Bourse. Il prononce un nom, la redépose sur la table d’angle. Une fois, deux fois. Serait-ce que la voix rapide aurait induit en erreur la demande de rendez-vous ? Les gens à partir de 14 heures 30 s’inscrivent tout seuls, calculent le temps écoulé ( les habitués) viennent à ce moment ou s’installent avec patience. Fin de liste, plus de consultation. Faut-il encore le savoir ! La déontologie avant la correction et le respect de l’humain stipule qu’une demande de soins ne peut essuyer de refus. Le rappel du code déclenche une animosité sourde. Le service des urgences avec ces fréquents accidents graves de la route ne saurait s’encombrer d’un mal physique apparemment bénin ayant privé de sommeil ( quand même) l’entêté. Une seconde nuit d’insomnie est à proscrire. 20 heures 30, l’entrée dans le cabinet médical est glaciale. Etre tenu à, être obligé à, ne favorise pas le dialogue et l’ambiance de l’examen rapide excusé par l’heure tardive et la fatigue de fin de journée. La prescription ne peut être qu’inadaptée et corrigée par un autre praticien quatre jours plus tard. Le soin proposé à effectuer soi-même a été similaire à une médecine de brousse, lieu où la mortalité est élevée. Une telle attitude montre que l’on soigne d’abord avec sa personne, son caractère, ses doutes, relayés par une connaissance approfondie d’un métier dont l’accueil enseigné de plus en plus à l’université est déjà un acte thérapeutique. Les plus âgés dans une profession ont à leur portée la formation continue sous forme de DU ( diplôme universitaire) de séminaires, de congrès et colloques. L’avènement d’Internet dévoilant les nouvelles pratiques sans se déplacer ne suffit pas à adapter les méthodes de façon idoine. La confrontation avec d’autres praticiens, les échanges, l’acceptation de la mise en place de nouveaux protocoles, augmentent les acquis, permettent de se maintenir à niveau. La recherche démontre que les certitudes d’hier doivent être nuancées, que la Science transforme les données affirmées, énonçant parfois les contraires. Les apprentissages sont indispensables, ils confortent l’assurance de la prise en charge, structurent des lieux d’incertitude, balisent la relation soignant/soigné.

L’empathie est le fait d’une bienveillance que l’on retrouve chez les praticiens spécialistes non conventionnés qui ne déparent pas dans un cadre agréable, justifiant la somme murmurée. Le temps passé à expliciter l’objet de la souffrance est comptabilisé mais par quelqu’un qui tient compte des caractéristiques de l’humain.

Pourquoi l’indigent n’aurait-il pas droit aux même égards ? Pourquoi ne se plaint-il pas auprès de la Sécurité Sociale ou auprès de l’Ordre des médecins d’être limité après essai de deux de subir une pénalité qui lui grève son budget au troisième ? La santé n’a pas de prix pour ceux qui ont les moyens financiers, mais les autres ?

Les consultations à l’hôpital se sont beaucoup améliorées : les locaux sont plus propres, le personnel plus avenant, les soins de qualité. Les différentes classes sociales se côtoient peu dans ses salles d’attente sauf quand le spécialiste est un professeur de renom. Les cabinets en ville conservent encore le monopole d’une clientèle privée gardant en mémoire la mauvaise réputation faite à ce lieu public que ne se justifie pas son fonctionnement moderne.

Le médecin référent puisqu’il est généraliste et conventionné doit être capable de répondre à la demande qui lui est faite. Les critères motivant son choix tiennent à l’espoir d’une compréhension de la maladie, de sa gestion jusqu’à guérison. Les réseaux affinitaires inconscients en jeu dans la relation sont des éléments indéfinissables, intrinsèques à chacun, qui peuvent se maintenir ou se dégrader. Un soin ne saurait s’étayer sur un rapport de force ni dans l’animosité. Que signifie la critique des compétences médicales et la continuation des consultations ?

La cohérence oblige à élire un médecin répondant aux attentes en fonction d’une vision personnelle de la gestion de la santé et à lui accorder sa confiance.

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