La magie et la politique : quels liens ?

  • Le cimetière des esclaves

Dans ce lieu sépulcral où dit-on rôdent les morts, la charge magique et maléfique est importante. Le fait que le décès des martyrs ne soit pas décidé par Dieu (mort violente d’esclaves) ceux-ci attendent l’heure de la délivrance en réclamant vengeance. La mort est destin mais elle peut aussi être provoquée par décision d’un malfaiteur. Ces deux représentations de la mort s’ancrent dans l’imaginaire créole. Dieu tient rigoureusement ses comptes, à telle enseigne que les esprits dont on sent la présence dans les maisons n’étant pas programmés pour le royaume de l’au-delà errent dans l’attente de la décision divine. Tout ce qui concerne la mort est maléfique : coup de cercueil (les porteurs font très attention à ne pas en recevoir), clous de cercueil (plaie incurable par éraflures), corps mort sous lequel on glisse le nom de l’ennemi écrit sur du parchemin vierge (surveillance lors de la levée du corps). Par contre le cimetière est un lieu magique quand il s’agit de captation de pouvoir et de protection. (ossement humain fécondant la puissance, rituel de délivrance, pacte avec Lucifer) mais aussi un lieu maléfique (fiole enterrée dans le sol avec le nom d’un supposé ennemi ou rival, demande d’élimination d’une personne) .La puissance diabolique- le diable y conduit le bal comme au temps du sabbat- et sa domination par le sorcier qui l’offre au demandeur moyennant  de grosses sommes d’argent, par analogie lui confère un pouvoir illimité.

Le cimetière des esclaves dont la symbolique se conçoit comme un renversement des forces,- les ancêtres vengés par le retour du pouvoir- les descendants accédant à un rang supérieur, prenant la place du maître, peut servir de balises à l’inconscient. Ils quémandent en ce sens une aide. ( ban fos là).

  • L’accroissement des actes sorciers et la montée des préoccupations populaires

L’avenir de plus en plus incertain, la paupérisation, l’aggravation des conditions de travail, la dégradation du climat social alimentent une détresse qui s’exprime par la désignation de bouc émissaire. L’autre devient l’ennemi dont il faut se méfier, qu’il faut en l’occurrence éliminer. Cela se traduit par des attitudes discriminantes envers l’étranger dont on parle en termes d’envahisseur, de délinquant, de violeur. Qu’on se souvienne des raisons principales de l’édification de l’homme au bâton des années 60. Les gadé-zafé font du chiffre. Les consultants disent chercher une solution de délivrance et de mise à distance des agresseurs. Les uns et les autres s’accusent de maléfices : car personne ne s’avoue malfaisant et aucun gadé-zafé ne commandite d’actes sorciers : ils travaillent tous avec les saints et Dieu. C’est la rumeur populaire qui les fait sorciers. La consultation magique est une recherche de bien-être.

  • Les politiques et les pratiques occultes

La rumeur détient un système explicatif à l’ascension sociale. Toute réussite devrait avoir un versant négatif dans l’imaginaire créole. Le rite sacrificiel est admis, le sang versé, les esprits aiment le sang : dans des temps encore proches, une jeune vierge devait être consommé par le postulant politique. La prévention de la pédophilie a gommé la perspective de cette jeune force agissante. La captation du pouvoir et l’enrichissement ont pour corollaire la manipulation des forces occultes parce que politique et argent (cé bitin à diabl). Trois déterminants mènent le monde : l’argent, le pouvoir et le sexe et ceci dans le réel. Un enrichissement soudain accroît la thèse de la jarre d’or et la donation d’une âme innocente (décès soudain, pacte passé avec le diable). Cela signe l’incapacité de l’humain à réussir sans aide extérieure, aide qui a un pendant négatif. De manière plus prosaïque, si une femme noire réussit c’est qu’elle a un mari blanc.

Vaincre l’adversaire, gagner des élections, se sentir puissant et en sécurité justifient l’alliance de la magie et de la politique. Des hommes politiques consultent régulièrement leurs voyants en France et leurs gadé-zafé en Guadeloupe. Dans une émission de RCI « pawol ka palé » avec Michel Marvel, une femme politique a dit qu’elle y était allée à deux ou trois reprises, sous la pression de son entourage, essayant de la convaincre d’une indispensable protection contre la jalousie et l’envie. Se protéger est une démarche magique presque légitimée par la croyance, mais exiger la puissance et le pouvoir c’est passer un pacte qui a un coût ; vendre son âme au diable et parfois donner celle d’un innocent. Réussite et décès, enrichissement et disparition de familier, l’amalgame est vite fait.

Autre lieu magique usité pour la réussite, les trois chemins plus puissants que les quatre chemins ou le crapaud la gueule cadenassée est le symbole du musellement de l’adversaire. Par analogie, sa parole ne sera pas entendue. La bataille des élections par sorciers interposés n’est pas accréditée car le charisme, la démagogie, la manipulation, l’art de séduire demandent beaucoup plus d’énergie que le temps  passé chez des voyants aux séances onéreuses. Aujourd’hui le coaching commence à s’implanter. Le secret de polichinelle n’en est pas un puisque la consultation magique est chose tue même pour le commun des mortels. On y croit en se moquant des autres qui y adhèrent, les traitant d’ignares et de superstitieux, scotomisant les croyances qu’on utilise en évoquant la curiosité.

  • L’explication psychanalytique

L’accompagnement magique remplit deux fonctions :

  • Une fonction sociale : amélioration des relations humaines, tolérance, désir d’accroître les connaissances, dérivation de l’agressivité, renoncement au passage à l’acte.
  • Une fonction psychologique : réassurance narcissique, confiance en soi, estime de soi, sentiment de sécurité.

La fonction sociale est tributaire de la fonction psychologique. La dynamique qui promeut la réussite permet la dérivation de l’agressivité et l’annulation du passage à l’acte. On ne saute point à la gorge de son adversaire puisqu’on est sûr de le dépasser, même par le truchement des actes sorcellaires on ne pourra pas être malmené. Se souvenir du décès d’un maire après son élection et de la rumeur. Aller au charbon et vaincre avec l’aide surnaturelle s’originent dans le degré d’attachement aux croyances.

  • L’appel aux ancêtres comme acte de résistance

Certains mouvements comme le cargo cult en Amérique latine, le Camdonblé, la macoumba ont permis de préserver quelque chose de l’ordre de l’identité reprenant à leur compte et en les y intégrant des divinités( ce qui en restait comme traces mnésiques) s’appuyant sur les croyances comme faits de résistance. Ruse pour ne pas être entièrement soumis à la dépersonnalisation de ce je qui devait être un autre. La magie et la sorcellerie se trouvent à l’intérieur de la pensée religieuse. L’âme manichéenne se préoccupe du bien et du mal, à telle enseigne que le terme magico religieux décrit parfaitement le phénomène. A côté de cette transformation de certaines divinités chrétiennes (sainte bouleverse par exemple) la croyance religieuse reste ancrée dans l’imaginaire. La sorcellerie antillaise est identique à la sorcellerie française, contrairement à ce que certains avancent pour encore jeter le discrédit sur une culture. Elle n’a conservé qu’une survivance africaine : la dormeuse. La magie noire est venue d’Europe et s’est imposée aux Antilles. Etre Mambo en Haïti et se rendre à l’église catholique n’est pas une contradiction. Un événement d’appel magique : la cérémonie du bois caïman en Haïti où vaudou et rituel magique ont permis de vaincre le colonisateur et donner la victoire à Toussaint Louverture a été un véritable catalyseur, déterminant l’issue des combats.

  • Pratiques magiques courantes pour la réussite en politique

Le bain de délivrance et de chance : bain démarré à l’embouchure, bain de feuillage, la protection : chevalière montée ( protêgement), le rituel de protection dans le cimetière, sang de poulet de pigeon ou de cabri versé sur la tête sur la personne nue, la pochette de tissu rouge mis sous l’oreiller ( protêgement non porté), le sacrifice alimentaire, le jeûne sexuel, les paquets déposés dans les trois chemins et préparés par le gadé-zafé, pour ne citer que ceux là, sont des croyances courantes en vue de réussite. Mais chaque gadé-zafé a ses propres pratiques qui ont un coût en fonction du requérant et de l’importance de l’acte demandé.

  • Pourquoi les hommes plus que les femmes ?

D’abord la parité n’existait pas et la femme quand elle se présente en politique n’a pas la même vision du pouvoir que l’homme. Elle doit déjà faire de gros sacrifices pour s’engager, la maison reste son domaine dans le système de pensée de son environnement et l’échec ne l’affecte pas de la même manière, ce qui souligne la fragilité masculine à travers son ego. La politique n’est pas une bataille ou une guerre pour elle ; son désir est d’améliorer les conditions de vie et de participer à l’avancée de la société.

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