Le malaise enseignant

Publié dans Le Progrès social, n° 2490 du 04/12/2004

Les réformes successives de l’Education Nationale concernant la forme et le contenu des enseignements, ont façonné non seulement la structure scolaire mais avec elle les femmes et les hommes responsables d’inculquer des connaissances à des enfants dont les comportements et les idéaux ne sont plus en adéquation avec les modèles requis.

Sont en présence : un système scolaire avec des exigences, des enseignants (ancienne et nouvelle formules), des élèves reproduisant dans l’institution les modes d’éducation des parents et des parents plus ou moins attentifs à l’avenir des enfants. Le regard porté sur l’enseignant s’est considérablement modifié avec le pourcentage d’enfants scolarisés.

L’institutrice et l’instituteur étaient des notables aussi côtés que le maire, le médecin ou le prêtre des années 50. Ils avaient le droit de sévir, de punir dans un non dit qu’aucun parent ne contestait d’autant plus qu’il ne pénétrait le lieu scolaire que pour une  situation de grand désordre.

Garants de la bonne tenue de la classe, leur autorité était reconnue comme un bienfait éducatif : les coups de règles, les stations prolongées à genoux derrière le tableau, les taloches n’étaient pas rapporté à la maison par crainte d’en recevoir autant par solidarité avec la maîtresse et le maître empêchés dans leur fonction d’enseignement considéré comme un devoir, pire comme un sacerdoce.

Quand alerté par la convocation pour mauvaise conduite, la honte aidant, le parent se sentait dérangé dans ses obligations, il promettait en présence de la directrice ou du directeur de faire cesser cette attitude en sévissant une fois rentré à la maison ou de façon immédiate devant toute la classe. On se devait de respecter les maîtres.

Aujourd’hui, il est de plus en plus difficile d’obtenir quelques moments de calme prolongé. Pétillante de vie et d’indiscipline, la marmaille semble faire fi de l’autorité de celle ou de celui qui veut apprendre à lire ou à compter. L’ascension en classe supérieure sans redoublement est conseillée pour tous avec ou sans maîtrise de la lecture ou de l’écriture. Les devoirs à la maison ne sont pas vérifiés, à fortiori aidés, par ces temps de gens pressés et débordés que sont les parents.

Seule la vue des notes obtenues ébranle la fierté mise en les petits génies. Les cahiers ouverts blessent l’amour-propre : l’enseignant est mis en accusation. « Il est nul, il ne s’est même pas rendu compte que mon enfant ne recopiait pas les dictées. Il ne s’occupe pas des élèves. Pourquoi ne m’a-t-il pas convoqué ? J’irai le voir pour lui demander des comptes. Il n’aime sûrement pas mon enfant. »

Apprendre les incivilités (injures proférées dans la classe), le rackett qui commence dès les classes de CM1 et de CM2, l’indiscipline, met le parent face à ses carences ; il se sent disqualifié et mauvais. Il n’impose aucune règle et voudrait que l’école personnifiée par le maître corrige ses manquements avec beaucoup d’ambivalence. Car un parent qui refuse de donner des limites accepte mal l’intervention d’une tierce personne. « L’année prochaine je change mon enfant d’école car il risque d’avoir le même enseignant. »

La rencontre est faussée du fait de la croyance du parent d’élève et de l’image qu’il a de l’enseignant. La classe sociale favorisée a tendance à vouloir échapper à cette figure éducative laxiste surpris dans sa réalité. Ce qu’elle attend du système, c’est de lui faire la démonstration que la descendance est digne de la lignée et présente une incompatibilité à la punition et à la sanction. Une autre catégorie attribue un statut d’éducateur à ce représentant à condition qu’il montre de l’empathie dans sa sévérité.

D’autre part, la hiérarchie peut exercer un contrôle distinguant les bons professeurs des écoles et les autres : ceux qui occasionnent des plaintes écrites ou verbales d’adultes mécontents, des invectives et des redoublements.

L’administration scolaire est désireuse de conserver une image de marque quelles que soient les situations. Tient-elle compte du milieu socio-économique et culturel (implantation des classes en relation avec le nombre d’élèves en échec scolaire), tient-elle compte du  bien-être matériel du personnel (inadéquation des locaux, absence de salle de détente, zone sonore), tient-elle enfin compte du bien-être psychique (demandes de changement non honorées, imposition des lieux de travail, rapprochement des conjoints.) Permet-elle l’innovation et la tentative d’adapter l’apprentissage à la réalité du milieu ?

La réponse ne vient jamais rassurer l’enseignant sur sa volonté de faire autrement. L’inspection exige le respect des orientations classiques définies par des textes ministériels. L’inspecteur se doit de noter la qualité pédagogique et la maîtrise à dispenser l’enseignement. Il profite pour observer le maintien de l’ordre. Les petits très souvent sont solidaires de «  maîtresse et de maître » qu’ils aiment beaucoup ; ils se tiennent mieux que d’habitude. Ces derniers occupent une grande place dans leur imaginaire, même quand les notes ne sont pas satisfaisantes.

L’innovation cautionnée quelquefois par le chef d’établissement ne trouve pas d’audience auprès du rectorat qui la juge ou trop osée ou capable de heurter la sensibilité d’une instance externe par une revendication jugée déplacée. Au lieu de reconnaissance, le rappel à l’ordre fait ressentir les notions d’injustice et d’incompréhension à un agent dont l’investissement souligne le dynamisme.

La réussite d’un projet novateur est rarement citée en exemple. Les réformes sans concertation, les nominations de poste en contradiction avec le désir, l’absence de promotion récompensant des études universitaires sanctionnées par un diplôme supérieur dans un département où les débouchés sont réduits, n’améliorent pas les relations des deux parties dont une descend de plus en plus dans la rue, hurler son mécontentement.

Un sondage IFOP de septembre 1998 pour le ministère de l’Education Nationale met en évidence le rôle central de l’enseignant en tant que relais entre les parents et l’école. A la mission d’ordre civique, d’enseignement et de communication s’adjoint la poursuite de formations relatives aux évolutions du système éducatif permettant d’adapter son action aux élèves. Mais les formations de l’IUFM( institut universitaire de formation des maîtres) demeurent théoriques et peu fréquentées.

Comment appréhender la mission civique d’inculcation des valeurs après les retraits et le rétablissement sous condition de l’instruction civique ? Que devient la mission d’enseignement quand en 1998 un élève sur cinq ne maîtrisait pas les compétences de base de la lecture ?

Les incompétences sont liées parfois à des causes organiques. Les dépistages sensoriels des troubles du comportement et du langage peuvent se faire grâce aux renseignements fournis par celui qui passe le plus d’heures avec l’enfant : repérages des difficultés d’adaptation, des retards psycho moteurs, de la maltraitance. La concertation entre enseignants et service de la protection maternelle et infantile est indispensable. Cette mission de prévention est très peu exprimée et nécessite un engagement personnel, faudrait-il encore pouvoir dégager du temps.

A la mission d’enseignement, celle d’éducation doit être précisée par celle d’une éthique professionnelle librement définie mais concise et structurante. Combien d’établissements ont un règlement intérieur en Guadeloupe ?

La politique éducative a l’avantage d’intervenir de manière précoce sur la violence en l’empêchant de s’organiser chez l’enfant comme une réponse à son déplaisir. En rentrant à l’école, les petits vont être confrontés à une rupture à cause de l’existence de règles et de normes qui s’opposent au plaisir et au désir. Certains réagissent par des comportements violents. Les relations entre les parents et l’école quand elles sont de bonnes qualités arrivent à désamorcer l’hostilité.

Les difficultés tournent autour du sentiment d’isolement quand il s’agit de faire face à une situation inhabituelle. Pas de groupe constitué où l’enseignant pourrait exposer des faits, pas d’équipe constructive avec une ligne de conduite unitaire, pas de comparaison d’expériences.

Les violences scolaires augmentent la conscience d’une dépréciation du rôle éducatif, entraînant un mal être durable au point que les répercussions ont une incidence significative sur les comportements. L’échec scolaire dérange l’image positive de soi, la difficile gestion du temps, le burn out ( l’épuisement professionnel), les dissensions avec les collègues, l’incompréhension des parents ajoutent au malaise sans cesse grandissant.

Ne pas avoir de lieu où parler ou alors quelqu’un de bienveillant avec qui  échanger sur les difficultés génèrent des perturbations physiologiques( stress, ulcères) et psychologiques( irritabilité, déprime, attitude de persécution.) La fuite en avant, le pis aller c’est le congé de maladie. Une pause, une virgule dans la dictée des maux, le temps de recoller les morceaux.

Que faire et comment ? Beaucoup se trouve désemparé par une profession idéalisée prometteuse d’accomplissement de soi et de satisfaction. Satisfaction à transmettre un savoir, à favoriser l’émergence d’apprentissage, à aider à construire des femmes  et des hommes futurs. Avec le temps la motivation perd de sa vigueur, elle désespère de trouver une structure à sa dimension.

Les enseignants aiment ce qu’ils font et le font bien en dépit des obstacles rencontrés. Il faut dire distinctement que l’institution scolaire a besoin de sens et les enseignants de respect et de considération. Une société se juge à la qualité du cadre qu’elle offre à ceux qui sont garants de la construction intellectuelle de ses enfants.

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